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La création de
ce type de mécanisme représente un prolongement nécessaire des mesures prises
par Bâle III, en termes de renforcement des fonds propres des établissements
bancaires. Par ailleurs, il devrait également harmoniser la régulation bancaire dans toute la zone pour éviter
les disparités. Dans le cadre des stress
test, les méthodes utilisées par certains superviseurs se sont révélées
inadéquates par le passé, pour mesurer les besoins réels en capital des banques
et la fragilité
de leur système bancaire. Cela fut le cas en Irlande et en Espagne, où les banques
ont réussi avec succès leurs stress test,
avant de se retrouver rapidement confrontées à des graves difficultés
et à des situations de
sous-capitalisation.
Globalement
l’accord sur le MSU envoie un message fort aux marchés, en démontrant que la
solidarité européenne n’est plus un mythe (ou nettement moins). La Zone Euro
est capable de respecter les délais qu’elle s’était fixée, étant donné que les
ministres des finances de l’Union Européenne tablaient sur un accord d’ici la
fin 2012 et qu’au vu des derniers avancements, il était plus probable de le
voir apparaitre en 2013. Ce type de mécanisme est une nouvelle pierre à
l’édifice pour sortir la Zone Euro de la
crise, mais aussi pour assurer et garantir sa stabilité à l’avenir. Le MSU
se situe donc dans la lignée de l’Outright
Monetary Transactions (OMT) ou encore du Fonds Européen de Stabilité
Financière (FESF) et du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). L’établissement
d’un superviseur unique devrait d’ailleurs être complémentaire avec le MES,
étant donné que le volet bancaire du MES pour recapitaliser les banques ne
pouvait être opérationnel sans l’accord du 13 décembre 2012. Malgré
l’intronisation du superviseur unique à partir de la date du 1er
mars 2014, la recapitalisation directe d’une banque, qui le sollicite, ne
devrait pas poser de problèmes selon les dires de M. Moscovici, ministre des
finances français, qui a précisé qu’une telle opération sera menée aussitôt
qu’elle sera jugée nécessaire, bien avant 2014.
Pour la presse
cet accord représente la première étape
de l’union bancaire : que faut-il entendre par première étape ?
Tout d’abord cela constitue une première étape, dans le sens où un accord a
finalement été trouvé mais qu’il s’agit maintenant d’enclencher les prochaines
étapes en actant cette résolution : en permettant à la BCE d’adapter
rapidement sa structure pour devenir le nouveau contrôleur prudentiel ; en
harmonisant la réglementation entre les différents superviseurs
nationaux ; et enfin en étant capable d’appliquer les mesures appropriées
(stress test ou sanctions par
exemple). Comme nous le verrons plus tard, ce n’est qu’une première étape car
des améliorations peuvent être apportées. Que cela soit au niveau du caractère
prudentiel de cette supervision ou encore de son renforcement, via d’autres
mesures supplémentaires (la concurrence bancaire, les conditions de fusion des
banques, la garantie des dépôts, la place des chambres de compensation
centrale, pour n’en citer que quelques-unes),
tout laisse à penser que pour établir une stabilité forte et durable, il
faudra en permanence compléter les dispositions actuelles, tout en intégrant
éventuellement les propositions faites dans d’autres régions ou zones[1].
Des négociations difficiles…pour un « accord à l’arrachée »
Comme nous l’avons
vu, peu d’éléments permettaient de penser il y a encore peu de temps[2],
qu’un accord puisse être trouvé avant la fin 2012. Les échanges de vues entre
les différents pays ont effectivement ralenti le calendrier et rien ne laissait
imaginer que des compromis (enfin plutôt des concessions) soient trouvés aussi
rapidement. Dans un premier temps, a émergé le problème du maintien de l’indépendance de la BCE dans ses
décisions et ses missions. Après des négociations et l’observation des
expériences de certains pays, comme en France avec l’Autorité de Contrôle
Prudentiel (ACP), il a été décidé que la BCE aura à sa charge de prendre des
décisions concernant : l’octroi ou le retrait des licences bancaire, la
surveillance du respect des exigences en fonds propres et l’organisation des stress test. La BCE devra favoriser
l’harmonisation et l’homogénéité des systèmes de régulation et de surveillance
tandis que les superviseurs nationaux, en coordination permanente avec la BCE,
mettront en œuvre les missions au sein de leur territoire. La BCE tient à son
statut d’indépendance, ce qui est plus qu’amplement nécessaire et justifié.
C’est pourquoi elle le conservera pour tout ce qui relève de la politique
monétaire, mais le mécanisme interne du MSU devra quant à lui rendre des
comptes devant le Parlement européen au niveau de sa supervision, ce qui ne
devrait pas poser de problème en soit.
Concernant la relation entre le MSU et l’Autorité
Bancaire Européenne[3],
plusieurs questions se sont posées sur l’articulation entre ces deux
institutions. Elle a été créée en novembre 2010 suite aux préconisations du
rapport de Larosière, traitant de la
refonte du système européen de supervision. Elle concerne les 27 Etats membres
de l’UE et a comme mission d’assurer l’uniformisation de la règlementation
bancaire pour ces Etats. Contrairement au MSU, elle ne joue aucun rôle de
supervision, il n’y a donc pas de risques qu’ils interviennent de manière
contradictoire sur ce même segment. Au final les deux régulateurs, malgré
quelques problèmes marginaux d’ordre juridique à régler, devraient opérer en
harmonie au niveau européen. Au-delà de cette articulation, un autre problème
s’est dressé concernant les droits de vote entre les différents membres, qu’ils
soient dans la Zone Euro ou en dehors. Plus que d’autres pays européens non
membres de l’union monétaire, les britanniques ont eu particulièrement peur de
se retrouver isolés au sein de l’ABE. Le vote se faisant à la majorité
qualifiée, la zone euro aura sans doute toujours plus de poids dans le choix
des décisions, puisque les 17 pays membres devraient en principe adopter des
dispositions similaires en termes de règlementation des marchés financiers.
Ainsi le Royaume-Uni craignait de ne pas
pouvoir participer aux débats sur les services financiers ou encore de ne pas
défendre son propre secteur financier, pourtant vital au bon fonctionnement de
son économie.
Pour rendre le
MUS plus crédible, il a également été question de l’élargir aux autres Etats de l’Union Européenne, dont la monnaie n’est
pas l’euro. Etant donné la place des institutions financières des pays de la
Zone Euro dans ces autres pays, l’utilisation des standards du MSU est une
forme de garantie pour instaurer une certaine stabilité bancaire via
l’intégration financière. Toutefois, leur participation fait face à des
barrières d’ordre juridique et nécessiterait une révision du traité, ce qui
contribuait à encore ralentir davantage la mise en place du MSU. De plus, le
conseil de gouverneurs de la BCE ne peut incorporer dans ses décisions les Etats non membres de
la Zone Euro et ces derniers n’auront pas toujours intérêt à suivre les
directives de la BCE, ayant eux-mêmes leur propre Banque Centrale et leur
propre politique monétaire. Le Royaume-Uni, la Suède et la République Tchèque
ont d’ailleurs récemment déclaré que sous ces conditions, ils n’avaient aucun
intérêt à y adhérer et n’y prendraient pas part. Au niveau des questions du
droit de vote pour l’ABE, évoquées plus haut, il a été envisagé qu’un vote à la
majorité qualifiée ne soit validé que si une majorité est obtenue à la fois
entre les pays de la zone d’une part et entre les pays non membres d’autre
part, afin de ne pas exclure du processus de décisions certains pays, comme le
Royaume-Uni. Les toutes dernières informations disponibles ne permettent pas de
savoir si cela sera le cas ou pas, mais il est d’ores et déjà prévu que la voix
Royaume-Uni compte pour deux. Ce type d’égard ne devrait être attribué à aucun
autre pays, qu’il soit ou non membre de la Zone Euro…
Un non alignement
des autres pays européens pourrait contribuer à creuser un fossé avec une
Europe à deux vitesses en termes de régulation bancaire et financière. Au-delà
de cet inconvénient, un autre problème majeur apparait : face à une hausse
de la réglementation via l’instauration du MSU, certains opérateurs financiers
pourraient alors se rediriger vers des places plus attractives (la City, Wall
Street) où les ajustements réglementaires seraient d’une moindre importance. Ce
type d’arbitrage se ferait donc à la défaveur d’une Zone Euro, pourtant plus
stable et plus saine et ses institutions pourraient en pâtir. Ce sont pour ces
deux raisons, évoquées ci-dessus, que le maintien de la mission Autorité
Bancaire Européenne est une priorité pour assurer un certain degré d’uniformité
des règles pour les 27 Etats de l’UE. Il faut espérer que dans le même temps
d’autres pays, comme les Etats-Unis, feront aussi les efforts et les démarches
qui s’imposent pour adopter des règles similaires afin de favoriser une intégration internationale des normes
bancaires et financières (très utopique au vu du peu d’enthousiasme des
américains, déjà par le passé, à remplir les conditions du Comité de Bâle).
Au niveau du
champ d’action de la supervision, la Commission Européenne (CE) préconisait que
tous les établissements de crédit de la Zone Euro (environ 6 000 banques)
soient sous la coupe de la BCE ; or l’Allemagne s’y opposait et se
positionnait pour une supervision limitée, visant principalement les établissements systémiques, les Systemically
Important Financial Institutions (SIFIs). Contrairement à la France,
où quatre banques sont d’importance systémique[4],
la grande majorité des banques allemandes sont essentiellement des banques
régionales ou des caisses d’épargne locales, qui entretiennent des relations
étroites avec les entreprises du Mittlestand,
qui fait la réussite du modèle allemand. La supervision directe de ses
banques par la BCE pourrait donc amener à entraver le financement de
l’économie, alors même qu’elles ne présentent qu’un risque faible étant donné
leur taille. Ce type d’argument est loin d’être vérifié, comme le démontrent
les exemples de la Northern Rock (Royaume-Uni) ou de Bankia (Espagne), deux
établissements de taille modeste qui ont fait faillite pendant la crise,
entrainant avec eux d’autres institutions financières tout en générant du
risque systémique. Le niveau actuel d’interconnexion bancaire, tant entre les
plus grands établissements (les SIFIs) qu’entre les plus petits, est
suffisamment élevé pour qu’un risque idiosyncratique puisse rapidement se
transformer en risque systémique. Un encadrement plus strict et plus approprié
des SIFIs est indéniable, mais
sous-estimer les autres types d’établissements serait une erreur préjudiciable.
L’exemple de la Herstatt bank, une banque allemande de taille intermédiaire en Allemagne, dont la faillite
en 1974 a causé des troubles financiers sans précédent à l’époque, provoquant
des dysfonctionnements du système de paiement bancaire de New York et sa
fermeture pendant plusieurs jours, en est le meilleur exemple[5].
De plus, ces institutions de plus petites tailles, ont l’avantage d’avoir des
structures nettement moins complexes que des institutions plus importantes, ce
qui ne peut que faciliter leur supervision. Pour assurer de manière efficace et
durable la stabilité financière dans la Zone Euro, il faut une supervision
complète et générale, tout en adoptant des dispositions spécifiques à l’égard
de certains agents, plus risqués.
Le 10 décembre
2012, le gouvernement chypriote a émis une solution, afin d’apaiser les débats
et rassurer les inquiétudes allemande en proposant que la BCE assume une supervision
intense des banques de la Zone Euro, uniquement pour celles dont les actifs
dépasseraient 30 milliards d’euros. Toutefois la BCE pourrait disposer d’un
droit de regard sur des institutions bancaires, se situant en dessous de ce
seuil mais qui sont dans des situations délicates et en proie à des difficultés
majeures. Et c’est finalement les allemands qui ont eu gain de cause car cette
solution, proposée par les chypriotes, a été choisie au cours de la nuit du 12
au 13 décembre. Cela est plus du registre de la concession que du compromis.
Seules 200 banques (sur 6000) seront donc concernées par une supervision
rapprochée de la BCE. Certes le niveau d’interconnexion entre ces 200
établissements et les 1800 autres doit être assez élevé. Superviser ce petit
nombre de grosses institutions permettrait aussi d’avoir un certain regard sur
le reste des banques. Mais ce type d’argument peut être inversé, car ces
connexions entre les établissements bancaires contiennent intrinsèquement du
risque systémique. La faillite d’une petite banque ne doit pas être considérée
uniquement comme un choc idiosyncratique, car les effets de contagion seraient
alors considérablement négligés, or c’est malheureusement le cas avec la réduction du champ de supervision de la BCE.
De plus, l’aspect prudentiel est de moindre envergure, car en ne supervisant
pas tous les établissements, ex ante,
le risque de laisser se générer du risque systémique et d’augmenter la
probabilité d’une contagion pourrait croître et il sera dès lors plus difficile
de résoudre, ex post, ces problèmes.
L’avantage de superviser toutes les banques, au fur et à mesure, est d’avoir un
meilleur suivi des risques (et plus particulièrement du risque systémique) tout
en se laissant une marge de manœuvre pour prévoir certains dysfonctionnement et
ainsi mettre en place des mesures pour les réguler. Une telle marge de manœuvre
n’existe plus avec une supervision restreinte des seules banques de grande
envergure.
L’urgence
pour recapitaliser les banques
Trouver des
arrangements communs le plus rapidement était d’autant plus nécessaire que
l’instauration du MSU devrait permettre de lancer le volet bancaire dans le
cadre du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Afin de soutenir la Zone Euro
et ses membres face aux difficultés rencontrées avec la crise de la dette
souveraine, le Conseil Européen a décidé que le MES puisse recapitaliser les
établissements bancaires. Malgré l’intronisation tardive du MSU le 1er
mars 2014 un plan d’aide aux banques espagnoles avait été validée par
l’Eurogroupe au début du mois de décembre, et ce malgré que son instauration
était la condition sine qua non avant
de permettre au MES de recapitaliser les banques. L’effet d’annonce a déjà
permis, un tant soit peu, de rassurer et d’apaiser les marchés, mais face à
l’urgence de la situation espagnole il était pressant d’accélérer les
négociations et de convaincre les membres encore réticents de la nécessité
d’une entente (à défaut d’une harmonisation complète et d’une supervision
globale). Ce plan de recapitalisation
des banques espagnoles est établi à hauteur de 39,5milliards d’euros, ce
qui n’est certes pas suffisant mais apporte déjà un soutien non négligeable à
un système bancaire, qui frôle la dérive[6].
Cette aide devrait permettre notamment d’alimenter en fonds propre quatre
banques nationalisées[7]
et ainsi leur permettre de transférer une partie de leurs actifs toxiques
auprès du Sareb, la bad bank, créée
pour récupérer tous les « produits pourris » des autres banques.
Il est important
de comprendre ici que ce sont essentiellement des banques européennes qui
rachètent, sur le marché primaire et secondaire, les titres de dette émis par
les Etats de la Zone Euro. Elles possèdent donc énormément de ce type de titres
dans leur portefeuille d’actions. Le risque
souverain et le risque bancaire sont donc intimement liés actuellement.
D’habitude, ces titres sont considérés comme des actifs, dits « sans
risque », or depuis la crise, ils ne le sont plus (ou plus autant), étant
donné que la possibilité qu’un Etat puisse faire défaut, de manière partielle,
n’est pas forcément à écarter. Ainsi lorsque ces titres de dettes se dégradent,
comme c’est le cas en ce moment, cela se répercute automatiquement sur le
portefeuille des banques, qui se détériore à son tour. De plus, les banques se
servent généralement des titres d’Etats comme collatéraux, dans leurs
opérations financières, c’est-à-dire qu’ils peuvent jouer un rôle de garantie
dans le cadre d’une transaction avec un autre opérateur. Les collatéraux des
banques sont donc actuellement de moins bonne qualité, ce qui les contraints
sur leurs opérations financières. Elles ne disposent plus nécessairement de
marges suffisantes, détiennent encore beaucoup de crédits non remboursés et
dans un contexte d’incertitude forte, préfèrent placer leurs réserves auprès de
la BCE[8]
plutôt que d’accorder du crédit. Ces deux phénomènes contribuent à fragiliser
les banques tout en ne permettant pas d’alimenter l’économie en liquidité, dont
elle a pourtant urgemment besoin. L’instauration du MSU, et tout ce que cela
génère, contribuerait donc à briser cette spirale négative entre le risque
souverain et bancaire.
L’union bancaire
se devait d’être renforcée et harmonisée pour une meilleure intégration et
solidarité européenne sur des problématiques financières. En termes d’aide et
de support aux banques des pays en difficulté, le MES et l’OMT doivent
désormais prendre le relais. Il est difficile de tirer les conclusions
aujourd’hui de l’apport réel, à l’avenir, du mécanisme de supervision unique.
Car même s’il se faisait urgemment attendre, pour enclencher un plan d’aide
massif pour le système bancaire, il faut espérer que les compromis de dernières
minutes sur la supervision et la prévention, ne compromettront pas la garantie
d’une stabilité bancaire et financière dont l’Europe a grandement besoin.
Victor LEQUILLERIER
[1]
Commission Vickers au Royaume-Uni, Rapport Liikanen en Finlande, Dodd &
Frank Act aux Etats-Unis.
[2]
Le 6 décembre 2012, soit seulement une semaine avant l’accord, les négociations
étaient bloquées tant il restait de divergences entre la France et l’Allemagne,
ainsi qu’avec certains pays non membres de la Zone Euro
[3]
L’ABE étant une autorité de régulation bancaire, remplaçant le comité européen
des contrôleurs bancaires.
[4]
BNP Paribas, Groupe BPCE, Groupe Crédit Agricole, Société Générale contre la
Deusche Bank en Allemagne
[5]
C’est d’ailleurs à l’occasion de cet évènement malencontreux provoqué par une
petite banque, que le risque systémique a été pris pour l’une des premières
fois en compte, ce qui avait mené notamment à la création du Comité de Bâle…
[6]
Selon les résultats des stress test du
mois d’octobre, les besoins en capital des banques espagnoles s’élèveraient à
60 milliards d’euros, contre 100 milliards initialement prévus. Pour autant
tout laisse à croire qu’il faudrait revoir ce chiffre à la hausse.
[7]
Bankia, Catalunya Banco, NICG Banco et Banco Valencia.
[8]
En dépit de la très faible rémunération des réserves excédentaires, qui est
très proche du taux directeur de 0,75% de la BCE.
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