The sélective intervention est un débat théorique et économique qui répond à la problématique : « est-ce qu’une intégration verticale d’une firme est toujours une solution aussi bien voire supérieure à une désintégration verticale d’une firme ? ». Ce débat, encore actuel, s’est construit autour de deux propositions : celle de Williamson et celle de Grossman et Hart. Le concept a été proposé par Williamson et vise à comparer une grande firme et et ce qu’elle pourrait être si elle était divisée en petites entités pour chacune de ses activités.
Dans cette première partie nous abordons les suggestions de Williamson. L’idée non-intuitive des travaux, puisque contre-factuel, est de suggérer qu’une firme aurait par exemple intérêt à gérer séparément des entités pourtant déjà intégrées verticalement. La distinction avec l’approche de Williamson et celle de Grossman et Hart repose sur la relation principal-agent. Le principal propose un contrat incitatif. Dans la perspective de Williamson, seul l’agent agit après la mise en place du contrat (soit le contrat est mis uniquement en place pour l’agent). Dans celle de Grossman et Hart, le principal est aussi impliqué dans les modalités du contrat. Le choix de la structure théorique implique des conséquences et des recommandations différentes.
Comme l’explique Jacques CREMER dans son document de travail « Solving the Selective Intervention Puzzle » (TSE, Mars 2010), aucune entreprise ne peut être totalement intégrée verticalement car chaque activité productive nécessite en amont comme en aval la production d’autres biens ou services, souvent complémentaires l’un à l’autre. En somme, une firme tend vers une intégration parfaite mais ne peut pas l’obtenir totalement. Aussi, aucune firme ne peut être totalement intégrée, il existera toujours un input acheté à une autre entreprise extérieure. Dès lors, il s’agit de savoir à quel degré une firme a intérêt à s’intégrer.
L’enjeu fondamental du débat est qu’il remet en question des évidences trop vite établies. Par exemple, quel modèle vous semblerait le plus efficient entre ces deux propositions* :
- une firme produit du pétrole dans un désert, elle utilise un pipeline pour transférer sa production jusqu’à un centre de raffinerie. Chaque activité fait l’objet d’une gestion par une entité distincte.
- Une firme produit du pétrole en mer, elle utilise un bateau pour transporter sa production jusqu’à un point de raffinage. Chaque activité fait l’objet d’une gestion par une entité distincte.
La seconde proposition semble la moins coûteuse notamment parceque la mise en place de contrat complet est possible. En pratique la firme peut sous-traiter le transfert de sa production à n’importe quelle entreprise spécialisée dans le transport maritime. En revanche le pipeline implique un contrat de longue durée et surtout l’utilisation d’un actif spécifique pour chaque entité. En soit, la troisième entité (pipeline) nécessaire pour le transfert de la production implique des contrats incomplets. Dans ce cas là l’intégration est une solution bien supérieure au modèle avec trois entités séparées.
Williamson montre que l’intégration diminue le pouvoir incitatif. Les trois propriétaires des trois entités distinctes se sentent plus responsables que les managers d’une firme déjà intégrée. Cependant, et comme le modèle pétrole-transport-raffinerie le montre, l’intégration reste la solution la plus rentable si l’actif de chaque activité est spécifique. En soit, plus les actifs seront spécifiques, plus l’intégration sera une solution supérieure à une organisation séparée. D’autre part dans un schéma toujours vertical, l’entité en amont d’une seconde entité dispose d’une capacité de contrôle plus forte. En considérant la firme comme l’entité en amont, elle a alors tout intérêt à s’intégrer.
L’enjeu de l’intervention sélective est aussi à mettre en parallèle avec le problème du hold up. Les deux concepts limitent la frontière de la firme. La distinction entre ces deux notions repose sur les engagements des managers. Dans une entité séparée d’une autre, les managers restent exposés au jugement du marché, en particulier sur le respect des objectifs initialement fixés. Si ces engagements ne sont pas vérifiés, il existe un risque de hold-up (processus où une firme intègre progressivement un sous-traitant à son propre schéma organisationnel) donc un risque que le sous-traitant soit verticalement intégré à la firme cliente. Les droits de propriété constituent des variables importantes de ce fait pour décider d’une intégration. Pour ces raisons, l’intervention sélective est jugée coûteuse. La firme doit mesurer le coût d’opportunité lié à la baisse du mécanisme incitatif du contrat propriétaire-manager. Des coûts qui sont considérés par Williamson comme illusoires car il devient impossible de maintenir les incitations à un niveau constant.
L’apport de Williamson est donc de montrer l’intérêt d’une intégration et de proposer des contrats établis sur le principe que les entités ne sont pas intégrées pour conserver un maximum d’incitations.
Cependant cette proposition a suscité de nombreuses critiques.
Premièrement, il n'est pas prouvé que le contrat optimal après intégration est une simple variation du contrat optimal sans intégration. C’est une idée judicieuse mais pas prouvée. La seconde recommandation (organiser la firme comme si elle se constituait d’entités séparées) de Williamson ne s’avère pas aussi pertinente que la première (l’intégration est toujours préférable).
Masten (1999) souligne la nécessité d’une garantie effective pour inciter les divisions managériales à innover, rendre les investissements très profitables et limiter les coûts, en soit rester efficients. Une telle initiative permettrait de dépasser les thèses résignées de Williamson qui n’envisage en aucun cas la possibilité d’une organisation qui se centralise tout en conservant toute sa puissance incitative. L’intervention sélective ne peut donc pas être vérifiée.
Une manière de réfuter et prouver la fausseté de Williamson sur le caractère toujours plus rentable d’une intégration verticale est de montrer qu’il est possible d’obtenir un revenu au moins aussi élevé avec une organisation à entité séparée. Cela nécessite que le contrat applique des mécanismes incitatifs pour l’agent comme pour le principal. C’est ici qu’interviennent Grossman et Hart en 1986.
Grossman et Hart pensent que des mécanismes incitatifs peuvent être introduits au moyen des droits de propriété. C’est l’allocation de ces droits qui déterminent la puissance incitative du contrat. La théorie des jeux permet d’analyser la mise en place du contrat qui doit être vu comme un jeu organisé et non comme une simple volonté de contrôler le comportement de l’agent. Pour simplifier, le modèle Grossman et Hart (1986) est avec 2 agents et 1 actif. Hart et Morre (1990) ont proposé une extension du papier avec plus d’agents et plus d’actifs.
Dans les théories traditionnelles, la sélection adverse était très statique. Le principal offre un contrat à l’agent qui accepte ou non de l’honorer. Ce contrat est forcement incomplet (car toutes les informations ne peuvent être écrites) donc l’agent évolue dans un cadre prédéfinie par le principal. Dans le cadre des travaux de Grossman et Hart, il s’agit simplement de définir un cadre d’action pour les deux agents de manière à ce que les droits de propriété facilitent la mise en place d’incitations. En outre, après la signature du contrat le principal reste autant impliqué que l’agent.
Riordan (1990) critique cette vision en montrant que Grossman et Hart définissent l’intégration verticale par le contrôle de l’actif alors que c’est la capacité à contrôler le système productif qui définit l’intégration verticale pour Riordan.
Par exemple si le contrat implique que la firme en aval peut utiliser du capital et de la force de travail de la firme en amont alors il n’y a pas d’intégration verticale au sens de Grossman et Hart, alors que Riordan considèrerait l’intégration comme telle puisque les deux firmes se mettent simultanément en accord sur la gestion interne du processus productif.
En revanche si le contrat implique que la firme en amont loue un actif spécifique à la firme en aval alors Grossman et Hart considère une intégration verticale là où Riordan dirait le contraire compte-tenu de la non-participation de la firme en aval dans le contrôle interne de la firme en amont.
Bibliographie :
Williamson, Olivier E. 1985, "The Economic Institutions of Capitalism: Firms, Markets and Vertical Contracting"
Klein, Benjamin, Robert C.Crawford and Armen A.Alchian 1978: "Vertical Integration, Appropriable Rents, and the Competitive COntracting Process." The journal of Law and Economics
Crémer, Jacques, 1995 "Arm's Lenght Relatioships" Quaterly Journal of Economics"
Crémer, Jacques, 2010, "Solving the "Selective Intervention" Puzzle", TSE Working Paper
Nicolai J.Foss, Peter G. Klein, Richard N.Langlois, Lasse B.Lien : http://organizationsandmarkets.com
Grossman, Sandford H. and Oliver D.Hart. 1986 "The costs and benefits of ownership: a theory of vertical and lateral integration." Journal of Political Economy 94
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