Après la seconde opération de refinancement à long terme menée par la BCE récemment, les critiques pleuvent sur la qualité du bilan de l’institution. Jürgen Stark, ancien chef économiste allemand de la BCE, a d’ailleurs qualifié il y a peu d’« effrayante » la qualité des actifs du bilan de l’Eurosystème. Doit-on s’inquiéter pour autant de ces cris d’alarme ? Quelles peuvent peuvent-être les conséquences de la dégradation du bilan de notre banque centrale ?
Des risques beaucoup plus importants
Certes l’accroissement du bilan de la BCE via le second LTRO en février fait peser des risques supplémentaires sur l’actif de la Banque centrale. 523 milliards euros de liquidité ont été accordé aux banques de la zone euro, contre des garanties beaucoup moins solides que celles exigées habituellement par l’institution. Si une des banques de la zone euro venait à rencontrer des difficultés au point de ne pas être en mesure de rembourser la BCE, celle-ci se retrouverait avec des titres en garantie dont la qualité de signature laisse certains observateurs perplexes. Ces risques sont à ajouter à ceux pris directement par la BCE (et plus largement, par l’Eurosystème) via le SMP (Security Market Program) et les achats fermes d’obligations risquées associés. Des pertes au bilan de la BCE pourraient donc être enregistrées. Dans ce cas, ces pertes se verraient directement amorties par le capital de la BCE, récemment augmenté à 10 milliards d’euro.
Heureusement pour nous, le bilan de la BCE en soit n’est pas un indicateur pertinent de la solidité financière de la zone euro. Ce qu’il faut considérer, c’est le bilan global de l’Eurosystème (BCE + banques centrales nationales). On arrive ainsi à un capital de 82 990 milliards pour un actif de 3 023 159[1] milliards d’euros.
Le levier est tout de même ahurissant : on arrive à un ratio actifs/fonds propres de 37, chiffre impensable pour une entreprise ou pour une banque commerciale… Mais une banque centrale n’est pas une firme.
Une Banque centrale ne fait (presque) jamais faillite
Ce qui fait la différence entre une firme lambda et une banque centrale, c’est que la banque centrale a le pouvoir de créer de la monnaie. Qu’est-ce que cela change ? Lorsqu’une banque centrale créée de la monnaie, elle achète généralement en contrepartie des titres d’Etat ou des titres privés. Ainsi, en créant un bout de papier (ou en tapotant sur un clavier d’ordinateur), elle va pouvoir mettre à l’actif de son bilan un titre qui va lui rapporter un intérêt à intervalle de temps régulier. Cet intérêt va constituer un bénéfice qui va pouvoir regonfler son capital. Les revenus découlant de cette pratique (que l’on appelle le seigneuriage, en référence au privilège accordé à celui qui avait le droit d’apposer sur une pièce une valeur nominale supérieure à son coût de fabrication) sont potentiellement conséquents, permettant ainsi en théorie de rééquilibrer le bilan d’une institution monétaire. Par conséquent, une banque centrale ne peut presque jamais faire faillite. Pourquoi « presque » jamais ? Si la banque centrale créée de la monnaie, il faut qu’il y ait une demande en face pour l’absorber. Si l’inflation est trop grande, les agents seront réticents à détenir sa monnaie. Or la création monétaire implique in fine de l’inflation. Donc au fur et à mesure que la Banque centrale monétise ses pertes, elle crée de l’inflation qui diminue la demande de monnaie : les bénéfices du seigneuriage se trouvent donc limités. Sans parler de la perte totale de crédibilité de la Banque centrale dans ce cas. La solution ultime se trouve donc du côté de l’Etat : celui-ci, en recapitalisant la banque centrale, lui permet de faire face à ses pertes financières. Encore faut-il que celui-ci en ait les moyens.
Un scénario catastrophe envisageable pour la BCE ?
La solidité financière de l’Eurosystème peut-être défendue sur deux points. D’abord sur ses revenus actuels : le compte « capital et réserves » de l’Eurosystème ne représente pas la totalité du matelas de sécurité. Il faut en effet ajouter à ces derniers le « compte de réévaluation », qui tient compte des bénéfices latents provenant de la réévaluation de certains actifs (l’or détenu à l’actif du bilan par exemple). Ainsi, si l’on ajoute le compte de réévaluation au capital et réserves, on obtient un matelas de sécurité de 500 milliards d’euros environ. Ensuite, il faut considérer les revenus futurs liés au seigneuriage « naturel » de la BCE (celui qui découle de la croissance de la base monétaire déterminé par la BCE de sorte à ce que l’inflation reste maîtrisée). Ces derniers sont conséquents, la croissance de la base monétaire étant en général importante pour la zone euro (ce que pourraient nous envier nos voisins anglais et américains en ces temps difficiles pour la situation financière des banques centrales). Ainsi, si l’on considère les bénéfices futurs comme les bénéfices présents « masqués », il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une perte en capital aboutissant à un capital nul. La Banque centrale du Japon a d’ailleurs fonctionné avec des capitaux négatifs pendant une grande période.
La confiance a plus de valeur que le capital
Toute la question est en fait de savoir à partir de quand les marchés peuvent commencer à douter de l’Euro. S’il est clair que la BCE a un matelas financier conséquent en cas de pertes, il reste que ce dernier n’est pas forcément l’élément sur lequel se concentrent les marchés pour juger de la valeur de la monnaie. Ils se concentrent davantage sur le jugement de leurs pairs, lui-même fondé sur une confiance de marché… ce jugement étant lui-même récursif ! Ainsi, l’élément clé en cas de pertes importantes sera la confiance qu’accorderont les marchés à la crédibilité de la Banque Centrale Européenne. Mario Draghi semble d’ailleurs l’avoir déjà intégré, réagissant le 8 mars dernier aux inquiétudes sur le bilan de la BCE lors de la conférence de presse mensuelle[2]. Après tout, des crises de changes ont bien touchés des pays sans que ces derniers n’aient de problèmes dans leurs fondamentaux économiques…
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