16 oct. 2012

La Revue générale des politiques publiques (RGPP) : quel bilan, quels enseignements pour réformer l’Etat ?

P
rincipale réforme de l’Etat de la présidence Sarkozy et instrument privilégié de la réduction des dépenses publiques depuis 2007, la Revue générale des politiques publiques (RGPP) se trouve aujourd’hui sous le feu des critiques à la faveur de l’alternance politique. Le 25 septembre dernier, les corps d’inspection issus des ministères des Finances, des Affaires sociales et de l’Intérieur, ont remis un audit très fouillé de cette RGPP au Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, qui entendait « clore cette période » de la réforme de l’Etat.


Le bilan tiré par les corps d’inspections est critique mais la sévérité de leur jugement est tempérée par les bons points qu’ils ne manquent pas de décerner. Pointant surtout la méthode, centralisée et peu transparente, pour expliquer le décalage entre les ambitions affichées et les résultats finalement atteints, le rapport n’en conteste pas les fondements et souligne même la nécessité de mener à leur terme et de stabiliser l’ensemble des mesures prises dans le cadre de la RGPP. Dans un contexte où la question du désendettement et de la réduction des dépenses publiques se pose avec toujours plus d’acuité, l’audit reconnaît que la RGPP a réalisé un ensemble de réformes d’ampleur, mais dont l’impact budgétaire demeure limité.

La RGPP a renouvelé les méthodes de réforme de l’Etat

Un appel inédit au secteur privé
La RGPP est moins une réforme stricto sensu qu’une méthode de réforme, sous laquelle ont été validées, entre 2007 et 2012, 503 mesures. Elle s’est articulée sur deux volets : une dimension de pure réforme administrative, c'est-à-dire organisationnelle, et une dimension budgétaire, c'est-à-dire s’attachant à la question des moyens, donc des dépenses publiques.

Cette révision des politiques publiques s’est initialement fondée sur un audit général portant sur les grands postes de dépenses de l’Etat : l’examen des coûts et de l’efficacité des politiques publiques ainsi que des moyens qu’elles mettent à l’œuvre. Dans la tradition française de gestion publique, une telle pratique est relativement récente. Mais l’originalité de la RGPP tient surtout à la place qu’elle a accordé aux acteurs privés dans le processus de réforme administrative. En effet, le travail préalable d’analyse a été mené en commun par des agents publics et par des experts privés, des groupes d’audit « mixtes », composés de membres des corps d’inspection ministériels et interministériels et de cabinets privés, ayant été placés auprès de chaque ministère.

Un recours au privé à une telle échelle a constitué une première dans la réforme de l’Etat en France. La méthode a été critiquée parce qu’influencée par une conception « néolibérale » de l’Etat, introduisant dans l’administration des méthodes rapprochant de manière insensée la gestion publique de la gestion privée. En encadrant les équipes d’audit issues du privé par des fonctionnaires issus des grands corps de l’Etat, la RGPP a cependant entériné une méthode, qui présidera désormais à toute réforme de l’Etat : la convergence entre d’une part, la culture de projets et de résultats portée par les cabinets de conseil, et d’autre part la culture de service propre à l’administration.

Un pilotage politisé
La principale caractéristique de la RGPP demeure cependant son très fort portage politique. Annoncée par le Président de la République Nicolas Sarkozy en Conseil des Ministres le 20 juin 2007, soit dans le mois suivant sa victoire électorale, elle est placée sous l’impulsion directe de l’Elysée via un Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) qui constitue l’instance de validation des mesures. C’est le Président lui-même qui rend son arbitrage sur les points de blocage. Le travail en amont est réalisé par un comité de suivi présidé par le secrétaire général de l’Elysée et par le directeur de cabinet du Premier Ministre. Les trois directions chargées de la mise en œuvre de la RGPP (Direction générale de la modernisation de l’Etat, Direction du budget et Direction générale de l’administration et de la fonction publique) ont été placées sous l’autorité du rapporteur général de la RGPP, à savoir en 2007 Eric Woerth, ministre du budget et des comptes publics.

Avec la RGPP, la réforme de l’Etat est devenue une politique contrôlée par Bercy, qui a supplanté les « rivaux de toujours » dans la conduite des politiques administratives : le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Fonction publique.  C’est désormais le ministère du Budget qui monopolise la réforme de l’Etat, une évolution entamée dès 2005 avec le rattachement de la Direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME) au Ministère chargé du Budget, et qui témoigne du souci grandissant des politiques d’en mieux gérer les coûts financiers et budgétaires. 

Ces éléments institutionnels ont assuré à la RGPP une grande visibilité politique. C’est à la fois son point fort et sa limite, en ce qu’elle peut être perçue comme une réforme partisane et non purement administrative, prêtant ainsi le flanc aux critiques inhérentes au débat public.

Un bilan solide en matière de réforme administrative…
La rationalisation de l’organisation administrative, la recherche de l’efficience et de la performance dans le secteur public, sont devenues autant des urgences qu’elles n’étaient déjà des nécessités. La RGPP a donc cherché à réformer les structures administratives afin de les rendre plus rationnelles et plus efficaces.

D’importantes réformes structurelles
Sont ainsi à mettre à l’actif de la RGPP plusieurs réformes administratives majeures qui ont contribué à simplifier les relations entre les usagers et l’administration, facilitant parfois l’accès aux services publics. C’est la fameuse politique du « guichet unique », avec par exemple la création de Pôle Emploi, née de la fusion des Assedic et de l’Agence nationale pour l’Emploi (ANPE), qui simplifie la démarche des demandeurs d’emploi en regroupant en une seule instance l’organisme chargé de l’indemnisation du chômage et l’agence chargée de la réinsertion sur le marché du travail.
De même, la création de la Direction générale des Finances publiques, suite au regroupement de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique, offre maintenant aux contribuables un interlocuteur unique en matière fiscale.

Ce chantier des simplifications représente un tiers des actions prescrites par la RGPP. De nombreuses et diverses réformes ont ainsi été conçues, décidées et actées comme la réforme de la carte judiciaire, la réorganisation des ministères sociaux, la réorganisation du ministère de la Défense (au sein duquel la RGPP a voulu externaliser certaines activités de l’Etat considérées comme non-stratégiques ou ne correspondant pas aux missions relevant d’une stricte compétence étatique).

L’amélioration des relations entre les usagers et le service public
L’accès aux services publics devant se faire toujours plus en ligne, la RGPP a accéléré le grand chantier de « dématérialisation » des procédures.  Pour simplifier les démarches des usagers, les services administratifs en ligne ont connu ces dernières années d’importants développements ; les contribuables ont désormais, par exemple, la possibilité d’effectuer leurs déclarations des revenus et le paiement de leurs impôts en ligne, d’accélérer et de personnaliser les démarches prioritaires notamment concernant l’état civil.

…mais mitigé en matière de réduction des dépenses publiques

Les limites d’une démarche incomplète
Lors de son lancement en 2007, la RGPP a été présentée par les décideurs politiques comme un moyen de limiter l’endettement de l’Etat.
Or tout au long du quinquennat Sarkozy, la Cour des Comptes a adopté une position particulièrement critique envers elle, estimant que « l’exercice de réorganisation des administrations est certes souvent utile, même si ses modalités sont parfois critiquables, mais son impact budgétaire est relativement limité ». Son Premier Président Didier Migaud estimait en juin 2010 que la nécessaire réduction des dépenses publiques impliquait « une politique de maitrise beaucoup plus ambitieuse que celle menée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Il faudrait réexaminer l’ensemble des dépenses publiques, et notamment les plus coûteuses. De telles réformes structurelles nécessitent au préalable une évaluation qui permette de s’interroger sur le bien-fondé et sur l’efficacité de l’intervention publique, afin de ne pas dégrader la qualité du service rendu. La revue générale des programmes est devant nous ».

En effet, une des lacunes de la « méthode RGPP » aura résidé dans son incohérence avec la loi organique relative aux lois de finances (dite LOLF) qui, depuis le 1er août 2001, constitue le cadre budgétaire principal introduisant le pilotage par la performance dans la gestion publique, dans un souci de maitrise des dépenses. Or, là où la LOLF passe en revue le fonctionnement de l’administration en fonction des catégories d’action de l’Etat (missions, programmes, actions), la RGPP ne revoit le fonctionnement administratif qu’en fonction des structures de l’Etat. En d’autres termes, la RGPP se focalise sur ce que l’Etat est tandis que la LOLF s’intéresse à ce que l’Etat fait.

Entre 2001 et 2007, les procédures de modernisation de l’Etat n’ont donc pas été cohérentes entre elles. De fait la RGPP n’a pas pleinement procédé à l’examen des politiques publiques, de leur coût et de leur efficacité, car la majeure partie des politiques publiques est partagée entre l’Etat, les collectivités territoriales, les opérateurs et les organismes sociaux, et la RGPP a principalement porté sur l’organisation administrative de l’Etat.

D’autre part, la RGPP devait à l’origine concentrer ses efforts sur la réduction des dépenses d’intervention de l’Etat, et non sur les seules dépenses de fonctionnement de l’Etat, avant qu’un changement de cap ne s’opère rapidement mais sans aucune annonce officielle.
Le programme de réduction des effectifs de la fonction publique s’est inscrit dans cet intérêt exclusif de la RGPP pour les seules dépenses de fonctionnement. La baisse de 10% des coûts de fonctionnement a été érigée en règle intangible.  Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite en a été la mesure-phare, affichant comme objectif d’arriver en 2012 à une situation où l’Etat aurait retrouvé un nombre d’agents équivalent à celui de 1990. Sur l’ensemble de la période 2008-2012, près de 150 000 agents n’ont pas été remplacés, c'est-à-dire 7% de la fonction publique d’Etat.

Le bilan budgétaire est lacunaire
Au final, le bilan budgétaire est mitigé. La RGPP avait affiché un objectif d’économies de 15 milliards d’euros sur la période 2009-2013, dont 12, 3 milliards à échéance de fin 2012. Or le montant de ces économies ne serait finalement que de 11,9 milliards d’euros, ce qui demeure très mince en regard de la nécessité de limiter le train de vie de l’Etat. En se focalisant sur les dépenses de fonctionnement, la RGPP ne s’est attaqué qu’à un tiers seulement du volume total des dépenses publiques. L’effort budgétaire est ainsi resté très largement insuffisant.

Puisque l’impact budgétaire n’a pas été à la hauteur des objectifs, ni à la hauteur des enjeux de réduction des dépenses publiques, se pose désormais la question de « l’après-RGPP ». La volonté politique est de clore désormais cette phase de la réforme de l’Etat, impopulaire auprès des agents de l’Etat et mal perçue par ses services. Le rapport estime justement qu’il n’est plus possible de rechercher des économies sur le seul champ de l’Etat, mais qu’il est au contraire nécessaire d’élargir la réforme à l’ensemble de l’action publique qui inclut les collectivités territoriales, les opérateurs et les organismes sociaux. En d’autres termes, raisonner davantage sur les missions de l’Etat que sur son organisation administrative – la LOLF plutôt que la RGPP…

Depuis 2007, le nombre de missions de l’Etat n’a en fait jamais cessé de croitre, et ce malgré la RGPP. C’est ce qui explique son faible impact budgétaire. C’est ce qui pose, aussi, la question de la suppression de certaines missions de l’Etat, un geste socialement coûteux et politiquement risqué. 

Laurent MUSINE

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire