4 oct. 2012

Le gain des dépenses de santé


L
e dernier rapport de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) laisse peu de place au doute : avec un déficit de plus de 8,6 milliards d’euros en 2011 (pour des dépenses de soins totales de 220 milliard d’euros dont 167,1 à la charge de l’assurance maladie), des mesures pour rétablir l’équilibre budgétaire de l’assurance maladie doivent être prises, afin de ne pas compromettre la viabilité à moyen terme du système d’assurance maladie.


Ce rapport n’est toutefois pas uniquement pessimiste, en ce que les efforts ayant déjà été réalisés portent partiellement leurs fruits. Suite à la très forte augmentation des dépenses de santé au début des années 2000, des politiques de maîtrise ont été mise en place afin de modifier les comportements et les pratiques médicales (par exemple l’accent mis sur la gestion du risque et la maîtrise médicalisée)  et depuis 2010 l’augmentation des dépenses de santé enregistrée est conforme à celle initialement votée. Il n’empêche, des économies (ou une augmentation des ressources) d’environ 2,8 milliards d’euros par an, doivent être réalisés afin de limiter la croissance des dépenses à 2,5% (contre 4,4% aujourd’hui).

Ce rapport met ainsi l’accent sur la nécessité de maîtriser ces dépenses via l’optimisation des parcours médicaux. Certes il est très possible d’améliorer l’offre de soin, mais il semble peu probable que cela soit suffisant pour atteindre les objectifs fixés, d’autant plus que le contexte de crise économique va entrainer une diminution des ressources de l’assurance maladie.

Vieillissement, progrès technique et dépenses de santé
Constater l’importance et la non soutenabilité du déficit de l’assurance maladie ne suffit pas. Celui-ci résulte d’une hausse importante des dépenses de santé à la fin des années 90 et aux débuts des années 2000, quand les montants cotisés pour financer l’assurance maladie stagnaient (on peut ainsi constater que le problème est structurel et non lié à la crise actuelle). Mais pourquoi une telle augmentation des dépenses de santé au cours du temps ? Et peut-on croire qu’une amélioration de l’efficacité de la prise en charge du patient suffira à réduire sensiblement ces dépenses?

Le vieillissement de la population est une explication souvent avancée pour expliquer cette augmentation des dépenses de santé. L’argument repose sur une arithmétique simple, une personne âgée consomme plus de soins qu’une autre et la population francaise vieillit. Pourtant, plusieurs études récusent la responsabilité des « papy boomers ».

B. Dormont, M. Grignon et H. Huber  (Health Expenditure Growth : Reassessing the Threat of Ageing) démontrent que si les dépenses de santé ont augmenté de 54% entre 1992 et 2000 seulement 3% de cette augmentation est imputable au vieillissement de la population. Fait a priori contre intuitif, c’est le progrès technique qui explique la majeure partie de cette hausse des dépenses de soins : les changements dans les pratiques médicales ont ainsi entrainé une hausse de 58% des dépenses de santé (1).

Le progrès technique dans le domaine médical permet non seulement une diminution des coûts des différentes interventions, mais il permet aussi et surtout de faciliter l’accès aux soins à des personnes qui en étaient auparavant privées. Il y a alors un paradoxe : c’est parce que les patients sont mieux pris en charge, avec des techniques médicales plus efficaces, que le déficit augmente.

L’ONDAM a raison de viser l’efficacité productive de nos systèmes de soins : le gaspillage est socialement nuisible, mais une recherche réelle de l’efficience de notre système (si elle n’est pas un prétexte afin de rationner l’accès au soin) pourrait avoir un effet finalement inverse sur les déficits: plus de personnes seraient mieux traitées à un coût unitaire de traitement moins élevé. Rien ne garantit que le coût total de notre système de santé (nombre de patients x coût unitaire) diminue lui aussi. L’effet de volume, l’augmentation du nombre de patients induit par de meilleures pratiques pourrait l’emporter sur la baisse des coûts.

Si le problème n’est pas démographique, une solution mécanique est inenvisageable. Une réflexion et une concertation sont alors nécessaires afin de pondérer justice et soutenabilité économique.
Plus précisément, il faut se demander si la société évalue suffisamment sa santé pour accepter de financer son système de soin. Il faut également se demander si les entreprises peuvent contribuer suffisamment au système de soin. Quelles seraient les conséquences sur nos sociétés d’un déremboursement croissant des dépenses de soins, au travers par exemple d’une augmentation du ticket modérateur ou d’une limitation de la sphère des soins remboursés ?

Les individus sont-ils prêts à payer pour l’assurance maladie ?
Comme l’explique B.Dormont, quand on leur demande, les individus se déclarent prêts à payer une part importante de leur revenu pour vivre plus longtemps et en bonne santé. Une fois ce premier jalon posé, les difficultés méthodologiques rendent presque difficiles les évaluations de la disposition à payer des individus pour le système de soin, c’est-à-dire le montant total de leur budget qu’ils sont prêts à allouer au financement de l’assurance santé.

En s’appuyant sur des outils comme « la valeur statistique de la vie », il est toutefois possible d’obtenir une première appréciation de la « rentabilité » des nouvelles pratiques médicales qui entrainent cette augmentation des dépenses de santé.  Citant les travaux de Cutler, B.Dormont explique qu’une valeur (conservatrice) d’une année de vie supplémentaire serait d’environ $100 000 aux Etats-Unis. En prenant en compte cette valeur, l’écrasante majorité des nouvelles techniques de soins dégagerait d’importants bénéfices.

L’exemple des infarctus est instructif. Les nouvelles techniques de soins permettent un gain d’environ un an d’espérance de vie pour les personnes ayant connu un infarctus. En soustrayant un cout de la vie de $30 000 pour cette même année, on obtient une valeur résiduelle sept fois supérieure au coût du traitement ($70 000 pour un coût de $10 000 du traitement).

En utilisant une fois de plus l’approche de « la valeur statistique de la vie » (cette valeur est obtenue en comparant le montant qu’un individu est prêt à dépenser pour une diminution marginale d’un risque), il est également possible d’estimer quelle serait l’augmentation du PIB si les gains d’espérance de vie étaient étaient intégrés à la valeur que leur attribuent les individus (2). Murphy et Topel (2006) ont ainsi estimé que la valeur annuelle des dépenses de santé aux USA serait de 32% du PIB, valeur très largement supérieure au 15% du PIB consacrés par les Etats-Unis en dépense de santé.

La société dans son ensemble valorise fortement les dépenses de santé. Mais qu’en est-il des entreprises ? Le système français d’assurance maladie a ceci de particulier qu’il est en grande partie financé par les cotisations patronales. La part des cotisations patronales dédiées aux « Maladie, maternité, invalidité, décès, solidarité » s’élève à 13,10% du salaire total versé. Il convient donc de se demander si les entreprises reçoivent une contrepartie sous la forme de gains de productivité.

Productivité et assurance santé
La question des gains, ou des pertes de productivité entrainées causés par l’assurance maladie est essentielle pour deux raisons. Premièrement, elle permet de poser la question de la participation des entreprises au financement du système de santé. Deuxièmement, elle permet de mesurer le gain social d’une assurance maladie sous un autre angle que celui de la « valeur statistique de la vie », concept obscur aux non spécialistes et qui peut sembler cynique auprès du grand public. Il ne s’agit plus de mesurer la valeur que donnent les individus à leur santé mais des gains productifs directs.

Cependant, les études réalisées sur ce sujet en France sont soit rares, soit inexistantes et il faut se tourner vers des travaux américains et canadiens pour étudier les effets des assurances maladies sur la productivité des travailleurs.

Un premier fait observé par Guy Lacroix semble induire une réponse simple à cette question : plus un système de santé est généreux (en termes de journée d’absentéisme pleinement compensée par l’assurance maladie), plus les travailleurs ont tendance à être absents. Au contraire, lorsque les politiques ont étés durcies en Allemagne ou dans les pays Scandinaves, une diminution de l’absentéisme au travail a été constaté. Il y aurait donc des « abus » de la part de certains travailleurs qui profiteraient d’un système  généreux d’où une perte en productivité induite par l’assurance maladie. Des gains de productivités nécessiteraient donc un système moins généreux.

Cependant, des études américaines (par exemple : Health and Productivity Among U.S. Workers de  Karen Davis et al. 2005) montrent que les principaux problèmes auxquels font face les entreprises n’est pas l’absentéisme des malades mais au contraire leur « présentéisme ». Les travailleurs sans assurance maladie et n’ayant pas la possibilité de se reposer quelques jours chez eux voient leur productivité chuter drastiquement pour des périodes plus longues que les autres ayant la possibilité de se reposer, sans voir leur revenu sensiblement diminuer. Par ailleurs, ils sont largement plus sujets aux maladies « de long terme » qui les empêchent durablement de reprendre le travail. Enfin, ils exercent une externalité négative sur leurs collègues qui ont plus de chance de tomber malade à leur tour.

Pour illustrer le problème du présentéisme,  on peut lire Ron Goetzel et al qui estiment que sur les trois à quatre cent dollars qu’un employeur dépense chaque année par employé pour l’hypertension, les problèmes cardiaques, les dépressions et l’arthrite, seulement 10 à 20% sont expliqués par l’absentéisme des travailleurs quand 18 à 60% de ces dépenses sont expliqués par le présentéisme des employés.

Un autre article « Health insurance as a productive factor », écrit par Allan Dizioli and Roberto Pinheiro, s’oppose plus directement à celui de Guy Lacroix, puisqu’il montre qu’aux Etats-Unis, les employés possédant une assurance maladie sont 52% moins absents que leurs homologues non couverts (ce qui représente 2-3 jours de travail par ans). Par ailleurs, un grand avantage de cette article est de proposer un cadre d’analyse afin d’étudier les changements de règlementation, et en particulier le cas où fournir une assurance maladie aux travailleurs deviendrait obligatoire pour les entreprises aux Etats-Unis. Sous cette hypothèse, on assisterait à une hausse de la productivité du travail (et une diminution du nombre de travailleurs malades), une diminution du chômage, une augmentation de la production totale, une diminution des écarts de salaires entre grandes et petites entreprises, mais aussi une diminution du profit agrégé des entreprises.

Bien sûr, le modèle présenté n’est pas complètement adapté pour étudier le cas Français, où l’assurance maladie est obligatoire et en grande partie centralisée avec des cotisations liées au salaire de l’employé. Il donne cependant quelques pistes de réflexions. En effet, du fait du déficit structurel de la sécurité sociale et de l’assurance maladie, il semble tentant de vouloir diminuer la part publique de l’assurance maladie pour laisser une plus grande latitude aux assurances et complémentaires privées contractées directement par les individus ou négociées par les entreprises.

Dans ce cas, une réutilisation du modèle de Dizioli et Pinheiro prévoit une diminution du produit intérieur brut, une augmentation du chômage et du nombre d’individus malades dans la société et enfin, une polarisation encore accrue entre les grandes entreprises, capable d’offrir de hauts salaires et des assurances maladies, et les petites qui ne peuvent fournir les mêmes avantages aux travailleurs.

Ainsi, si elle profiterait aux entreprises, une diminution des cotisations sociales, associées à une diminution des prestations de soins remboursés par l’assurance maladie, pourrait être néfaste pour la société française (hausse du chômage et baisse du PIB).

Conclusion
Il apparait que nos sociétés accordent une valeur importante à la santé et donc à l’assurance maladie au travers de deux mécanismes. D’une part les individus aiment être en bonne santé. D’autre part les hommes en bonne santé travaillent mieux.

C’est pourquoi le débat sur le financement de l’assurance maladie ne doit pas se concentrer exclusivement sur des questions de diminution des coûts et d’optimisation des parcours de santé : ces politiques n’auront qu’un effet limité sur les déficits et peuvent même paradoxalement contribuer à son augmentation. Elles sont par ailleurs souvent justifiées afin de diminuer la portée de l’assurance maladie, ce qui est socialement néfaste.

Le véritable problème est de définir qui doit financer ce système et dans quelle proportion. Grace à l’assurance maladie, les entreprises profitent de gains de productivité substantiels. Néanmoins une assurance maladie obligatoire réduit le profit réalisé notamment pour les petites entreprises. Ce problème d’incitation est probablement encore aggravé par la spécificité du système français qui augmente très largement le coût salarial.

Un basculement d’une partie de ce coût vers d’autres acteurs est probablement nécessaire mais il semble injuste de reporter ce coût vers l’usager seul.  Un report qui pourrait s’accompagner d’une baisse du nombre de personnes bénéficiant de notre système de soin et ainsi d’une contraction de la productivité du travail donc de l’activité économique.

Christophe LÉVÊQUE

Notes:
(1)  Ce chiffre est à morbidité donnée. Dans cette même période, la diminution de la morbidité a permis une diminution de 10% des dépenses de santé. L’augmentation de la population à également joué sur le niveau des dépenses (+3%) ; on retrouve ainsi les 54% d’augmentation total.
(2)  Actuellement, les soins sont intégrés dans le PIB à la hauteur de leur coût.

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