11 oct. 2012

La stérilisation des interventions des banques centrales : concept, modalités et interrogations dans le cadre de l’OMT de la BCE


L
ors de l’annonce de l’OMT (Outright Monetary Transactions)[1] faite par Mario Draghi le 6 septembre dernier, ce dernier a assuré vouloir stériliser les achats éventuels d’obligations effectués dans le cadre du programme. La volonté de cet article est de clarifier ce concept ainsi que ses modalités d’applications dans un cadre général d’abord, avant de discuter ensuite de cette opération et de ses éventuelles limites dans le cas présent pour la BCE (le lecteur avisé pourra passer directement à cette dernière partie).

Stériliser une intervention permet d’éviter les pressions inflationnistes associées

Stériliser une intervention signifie retirer la liquidité injectée dans le système dans le cadre de cette intervention. En général ce concept est utilisé dans le cadre des interventions de change : la banque centrale achète des devises dans le but d’empêcher l’appréciation de sa monnaie (c’est le jeu de l’offre et de la

demande), et comme elle ne veut pas ajouter de la liquidité dans le marché elle retire cette dernière. Ces derniers temps le concept est de plus en plus utilisé dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles, dans la mesure où les grandes banques centrales ont acheté des actifs qui ont un rôle stratégique (directement ou indirectement) dans la transmission de leur politique monétaire. La stérilisation de ces interventions permet d’éviter un surplus de liquidités qui aurait des conséquences indésirables. Ce surplus de liquidité pourrait par exemple provoquer une baisse du taux d’intérêt interbancaire, où ce dernier s’éloignerait sensiblement du taux d’intérêt ciblé par la banque centrale[2]. Ou encore, plus simplement, le danger est que ces liquidités circulent dans l’économie en alimentant l’inflation.

Diverses modalités d’actions en théorie

Plusieurs outils, souvent peu décrits dans la littérature, sont à disposition des banques centrales :

- vendre d’autres actifs en parallèle: cette technique est souvent utilisée dans le cadre des interventions de change. En vendant des actifs (souvent les actifs choisis sont des actifs très  liquides comme des bons du trésor), la banque centrale retire de la liquidité du marché. L’inconvénient de cette méthode est que les taux d’intérêt sur les obligations d’Etat (si ce sont les actifs choisis, ce qui est généralement le cas) risquent d’augmenter et donc par conséquent d’attirer dans une certaine mesure de nouveaux capitaux voulant profiter de ces mouvements de taux non liés aux fondamentaux économiques. Ce dernier cas de figure, d’après Jang-Yung Lee (économiste au FMI), tend à rendre des interventions de ce type inefficaces dans les pays émergents (où la dette de l’Etat n’est pas très importante en volume).
Dans le cas de l’OMT de la BCE ce type de stérilisation n’est pas envisageable dans la mesure où la BCE n’est pas autorisée stricto sensu à détenir à son bilan de titres d’Etat[3]

- augmenter le ratio de réserves obligatoires[4], aujourd’hui à 1% en zone euro. Cette méthode de stérilisation a beaucoup été employée en Chine suite à l’accumulation importante de réserves de changes (il avoisine aujourd’hui les 20%). L’avantage de cette solution est son efficacité, l’inconvénient est qu’elle affecte beaucoup plus directement l’offre de crédit des banques par rapport à d’autres méthodes.

- émettre des bons de stérilisation : la banque centrale émet directement de la dette dans ce cas. Cette dette a normalement un coût très proche de celui de la dette gouvernementale (sa moindre liquidité lui vaut en théorie quelques points de spread par rapport à celle-ci). La banque centrale de Chine a également beaucoup utilisé cette technique avec ses banques commerciales, de manière plus ou moins coercitive… Cette solution, auxquels les marchés ne sont pas habitués, aurait peut-être un coût en termes d’image et de crédibilité si la BCE l’appliquait.

- en effectuant des opérations de « reverse repo » : dans le cadre des relations entre banques commerciales et banque centrale, cette opération correspond à la même chose que le « repo »[5] mais vu de l’autre sens. La différence avec la vente de titres est que cela n’a en théorie pas d’effets baissiers sur les marchés.

- en offrant aux intermédiaires financiers des comptes rémunérés sur lesquels placer leurs liquidités (dépôts à terme fixes qui ne peuvent donc pas être retirés dans une période donnée). C’est la méthode qui avait été choisie par la BCE dans le cadre du SMP (qui continue aujourd’hui d’être appliquée) et qui risque fortement d’être choisie là encore. Dans le cas de la BCE, il est important de noter que ces dépôts fixes sont éligibles en collatéral, et que l’alimentation de ces dépôts se fait par enchères à taux de soumission variable avec à l’heure actuelle un taux maximal à 0,75%.

D’un point de vue théorique, d’autres méthodes plus indirectes (dans la mesure où elles ne sont pas forcément mises en œuvre à cet effet) pourraient être citées, comme le plafonnement du crédit par exemple. Cet outil en usage en Chine aurait par exemple, d’après certains économistes, généré pour les banques chinoises de 2 à 3% de réserves supplémentaires non utilisables pour développer le crédit (et donc sans effets inflationnistes).

Le cas de la stérilisation de l’OMT de la BCE

La plupart des analystes laissent entendre que la BCE continuerait d’utiliser la méthode consistant à inciter les banques à déposer leurs liquidités sur un dépôt à terme (hebdomadaire jusqu’à maintenant dans le cadre du SMP). Si c’est la méthode retenue, cela devrait donner lieu à quelques inquiétudes, ou du moins à quelques questions essentielles auxquelles la BCE devra certainement répondre afin d’assurer la crédibilité de ses engagements.

La BCE a en effet, par le passé, échoué dans certaines de ses opérations de stérilisation, ne réussissant pas à inciter les banques à déposer suffisamment de leur argent pour une durée hebdomadaire. Ce fut le cas en mai 2010, où la BCE était sensée stériliser 203,5 milliards mais n’a réussi à n’attirer que 194,2 milliards d’euros. Si certains en ont vu un signe d’une possible limite dans les montants stérilisés via cette technique, d’autres ont jugé cet échec non pertinent dans la mesure où il découlait d’un manque de liquidité passager des banques. Depuis ce problème ne s’est pas posé et quand on regarde le bulletin statistique de la BCE de septembre 2012[6], on se rend compte que les opérations de reprise de liquidités en blanc ont depuis mai un ratio de couverture moyen d’environ 2, avec un plus bas à 1,37 fin juin 2012 et un plus haut à 2,3 début septembre.

On ne sait en fait pas trop jusqu’où la BCE pourrait aller en terme de stérilisation, cela dépend à la foi de la méthode qu’elle utilise et à la fois du contexte financier. Si pour la BCE le fait de distribuer des liquidités d’un côté (via l’OMT) et en reprendre de l’autre (via sa stérilisation) peut apparaître comme ayant un impact neutre, cela n’est pas du tout le cas pour les banques pour qui vendre des titres peut être bénéfique alors que placer les liquidités ainsi obtenues à un taux proche du taux refi pour une durée hebdomadaire peut ne pas être optimal dans le cadre de leur stratégie globale. Certes les banques disposent actuellement de liquidités importantes dont elles peuvent se passer pour partie (le montant total des réserves excédentaires et des liquidités placées à la facilité de dépôt avoisinait les 800 milliards d’euros début septembre), mais la situation pourrait être différente d’ici quelques mois. C’est ce qui explique que la stérilisation pourrait s’avérer difficile si elle en venait à concerner des montants relativement importants. Quels seront alors les montants en jeu pour l’OMT ? Nul ne le sait dans la mesure où Mr Draghi n’a pas fixé de limite à ces achats…

La question de la faisabilité et des modalités de la stérilisation associée à l’OMT devrait donc être sérieusement posée dans le cadre du déclenchement de l’OMT. Suivant les modalités choisies, on pourrait en effet éventuellement imaginer que la stérilisation des OMTs pourrait remettre en cause le caractère « illimité » du programme et donc nuire à sa crédibilité. Peut-être une des raisons pour laquelle Mario Draghi n’a pas apporté plus de précisions sur ce sujet ?

Julien PINTER




[1]           Rappelons que ce programme consiste à acheter des obligations de courte maturité (entre 1 et 3ans) de pays en proie à des difficultés, et ceci sans limite de montant. Ce programme contient une conditionnalité importante puisque son déclenchement présuppose que le pays concerné a déjà fait appel à l’aide du FESF/MES, aide elle-même conditionnée à des efforts d’assainissement budgétaire importants.
[2]           Cet argument reste davantage d’ordre théorique tant que les montants en jeu ne sont pas trop importants. A titre d’exemple, on pourrait imaginer que la non stérilisation des achats effectués dans le cadre du SMP (environ 210 milliards sont stérilisés chaque semaine à l’heure actuelle) pourrait avoir un impact sur le marché.
[3]           La BCE n’est pas autorisée à monétiser la dette d’Etat, mais elle possède tout de même des titres d’Etat dans le cadre des prises en pension et des programmes spéciaux comme le SMP par exemple qui ne représentent pas stricto sensu une monétisation de la dette
[4]           Le ratio de réserves obligatoires représente schématiquement la partie des dépôts que les banques doivent mettre en réserve auprès de la Banque centrale
[5]           Rappelons que le « repo » correspond dans ce cadre à une opération au travers de laquelle une banque vend un titre à la banque centrale et s’engage à lui racheter quelque temps plus tard (un haircut est appliqué et l’acheteur touche une rémunération sous forme d’intérêt)
[6]           Disponible à cette adresse : http://www.banque-france.fr/eurosysteme-et-international/la-bce/le-bulletin-mensuel-de-la-bce.html (rubrique « opérations de politique monétaire de l’Eurosystème effectuées selon des procédures d’appel d’offres)

3 commentaires:

  1. Article intéressant et technique. Trois remarques :
    1. Je ne vois pas comment la BC peut faire de la stérilisation en vendant des bons du trésor qu’elle vient d’acheter, elle le fera, je suppose, en proposant aux banques des dépôts à terme rémunérés.
    2. Il me semble qu’un point important manque, les banques (pas uniquement dans la zone euro, aussi au Japon, aux Etats-Unis et en Angleterre) mettent aujourd’hui leurs liquidités à la banque centrale au lieu ce prêter à l’économie, il y a donc stérilisation de fait (cf. graphique 5 de mon article, http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/politique-economique/221155862/zone-euro-pourquoi-ny-a-t-). Il ne faut pas limiter la stérilisation au SMP, vous le reconnaissez vous-même, le montant total des réserves excédentaires s’élève à €800 milliards. Si ce montant (n’est-il pas sous-estimé ?) ne baisse pas, la BCE n’a aucune raison d’accroître ce taux.
    3. Quant à l’OMT, sa limite sera son coût pour la BC. Rien n’est illimité dans la vie.

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  2. Merci d'avoir pris le temps de lire et de répondre.

    1 Techniquement elle pourrait le faire en vendant des bons du trésor de l'Etat français ou allemands par exemple, si elle en détenait "stricto sensu" (c'est le sens de ma note de bas de page). ça n'annulerait pas le but de l'OMT (faire baisser les taux de rendement des pays concernés par le programme) et permettrait de retirer la liquidité injectée.

    2 Avant d'aller plus loin, je voudrais préciser que le but de ma troisième partie était simplement de poser la question "est-ce que l'engagement de stérilisation automatique peut mettre en doute le caractère illimité de l'OMT?".
    Pour ce qui est de la stérilisation de facto, je suis tout à fait d'accord avec vous bien sûr, il y a une "stérilisation de fait" actuellement dans la mesure où l'augmentation de la base monétaire ne se traduit pas par une augmentation la masse monétaire (comme le montre votre graphique): les banques gardent leurs liquidités. Le contexte économique, l'anticipation des contraintes réglementaires à venir et les taux de rendements négatifs sur les bons du Trésor de courte maturité des pays coeurs en sont pour beaucoup peut-être. Après je ne comprends pas la suite de votre commentaire "la BCE n’a aucune raison d’accroître ce taux" à quoi faîtes-vous référence ?

    3 pour votre dernière remarque, de quel coût parlez-vous ?

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  3. Pour répondre à la dernière question de Jean Pierre Dumas, je crois que l'OMT ne sera pas aussi illimité que le laisse entendre la BCE, étant donné que le rachat d'obligations sur le marché secondaire ne concernera que des courtes maturités.

    En même temps vous me direz, les pays qui auront recours au MES et puis à OMT sont des pays qui n'émettent pas forcément avec des échéances longues. Encore que Mario Draghi a encore précisé il y a peu que l'OMT ne pouvait concerner des pays comme le Portugal, qui n'arrive pas à émettre sur le marché primaire des titres à maturité longue. Le caractère illimité de l'intervention de l'OMT est sans doute à prendre avec des pincettes, à mon humble avis.

    Quant à la capacité de la BCE à mener une politique quasi-illimitée avec OMT, au risque de dégrader ou d'augmenter la taille de son bilan, je pense que l'auteur de l'article sera plus que apte à nous fournir des éléments de réponse!!

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