L’instabilité politique puis monétaire en Europe occidentale ont d’abords été des premières explication de la crise. Mais le caractère structurel de celle-ci, selon Keynes, rappelait aussi qu’il pouvait s’agir d’un déséquilibre du mode de production capitaliste mettant en évidence une sous-consommation. A cet égard, parler de surproduction peut-être paradoxale. Au contraire, elle montre la diversité des analyses et une explication de la longévité des débats autour de cette période historique.
Les crises et cycles économiques s’inscrivent avant tout dans une phase de modifications qui démarre à la fin du 19ème siècle. Les crises modernes affectent l’ensemble des variables économiques du fait de la domination de l’activité industrielle et non plus de celle agricole. On parle alors d’un rôle régulateur de l’activité économique induisant des analyses cycliques. Parler de surproduction reste subjectif et relatif. Surproduction par rapport aux besoins solvables ? Par rapport à un autre modèle de crise ?Pourquoi la crise de 1929 peut se caractériser par une surproduction et quels éléments nous amènent à relativiser cette analyse ?
Nous-nous attacherons à évoquer les arguments justifiant une crise de surproduction. Puis nous évoquerons d’autres motifs à cette crise remettant en cause l’idée d’un excès de l’offre.
1 Une crise de surproduction
1.1 Les justifications d’une baisse de l’activité économique
1.1.1 Les phases cycliques
L’excès de l’offre sur la demande de biens d’équipements et de consommation implique une baisse des prix. L’analyse des mouvements inflationnistes ont conduit à clarifier les périodes de retournement de l’activité économique. Selon Simiand, interprétant les fluctuations cycliques relevées par Kondratiev, au cours des phases de prospérité ou de dépression les prix, les profits, les productions et les taux d’intérêt seraient liés. Ces phénomènes s’expliquerait d’abord par le rôle de la monnaie fondé jusqu’aux années 20 sur le système d’étalon-or. En période d’abondance d’or, les capacités productives resteraient insuffisantes induisant un excès de la demande à l’offre. Il s’agit donc d’une phase inverse et résultante de la transition du système monétaire international ayant convergé vers un système d’étalon de change-or dès 1922 lors de la conférence de Gênes. Ce dernier ayant facilité l’accès au crédit et à une consommation de masse. Or, en supposant le rôle des anticipations des entrepreneurs, ont peu très bien émettre l’hypothèse de prévisions excessives de ces derniers sur la demande. Les modifications sectorielles ayant donné la primauté des secteurs de l’automobile ou de l’immobilier sur la hausse des salaires, notamment aux Etats-Unis. Une hausse d’autant plus alimentée que si les salaires augmentent, de 13% de 1920 à 1930 aux Etats-Unis, les profits augmentent de 45%. La crise de 1929, ou plutôt la période de dépression de 1929 aux années 40, constituerait une élimination des capacités de production excédentaires, par la chute des profits des entreprises et le développement du chômage.
1.1.2 Les explications des modèles économiques
L’école régulationniste, notamment par Robert Boyer, démontre empiriquement que le salaire par tête de 1920 à 1930 augmente de 2% en France alors que la production par tête connaît une hausse de 6%. Ce décalage démontre un déséquilibre des économies appliquant le modèle fordiste où une production de masse devrait entraîner une consommation de masse. D’où le constat que les troubles sociaux se sont substitués à cette consommation de masse en tant que résultants de la production de masse jusqu’aux années 30. Une autre analyse de cette même école montre que la crise s’apparente à une phase de transition d’une mode de régulation concurrentiel à mode de régulation monopolistique. Sont ainsi considérés l’organisation financière, le niveau de concentration des entreprises et l’organisation de l’accumulation de capital. Le mode de régulation concurrentiel se caractérise par des économies relativement fermés, une dévalorisation du capital par une baisse des salaires et (d’où une hausse des profits), une faible intervention étatique. Les formes prises par ce type de mode capitalistique tendant vers une crise périodique conduisant à un mode de régulation monopolistique du système capitaliste. Celui-ci résulterait d’une généralisation du commerce international, d’une intervention de l’Etat, l’apparition d’une monnaie de crédit. Son émancipation est facilitée par l’inflation, allégeant la dette de l’Etat et favorisant l’investissement et le compromis fordiste, reposant sur une hausse de la productivité compensant une hausse des salaires. On pourrait ainsi dire dans une perspective keynésienne ou plus généralement macroéconomique que la consommation différée d’après-guerre, les anticipations et la rentabilité relative aux taux d’intérêts ont engendré un effet multiplicateur important sur l’investissement se traduisant par une surproduction débouchant sur les années 30.
Les thèses marxistes, par l’étude d’Eugène Varga, montre que la surproduction est lié à la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit mis en évidence par Marx. De ce fait, les entrepreneurs cherchent à gagner plus sur les quantités vendues pour compenser la perte par unité. La suraccumulation du capital et la sous-consommation, tout autant relative, complète cette analyse. Il y a lors une nécessaire réduction des forces productions et recherche de nouveaux marchés.
1.2 Une surproduction résultante d’une incertitude croissante et d’instabilités
1.2.1 Le surinvestissement
Le passage à un mode de production capitalistique a permis la hausse des profits facilitant celle des investissements. Des cartels, des trusts et des grandes firmes apparaissent, notamment aux Etats-Unis, reposants sur un mécanisme de crédit illimité. Ce surinvestissement conduit à une inadaptation de l’offre sur une demande mais surtout à une instabilité et une dépendance de certains secteurs automobiles vis-à-vis des décisions financières. Ainsi l’automobile est fortement liée au taux d’intérêt puisque le taux d’achat à crédit s’élève à 60%. L’immobilier est aussi touché. A ces faits s’ajoute une croissance à taux décroissant des salaires par rapport aux profits.
1.2.2 Blocage des échanges internationaux
L’hésitation persistante entre protectionniste et libre-échange, interventionnisme et laisser-faire, touchent toutes les puissances industrielles. Les années 20 à 30 constituent une période de croissance exponentielle des échanges internationaux. Le système d’étalon de change-or induit une solidarité financière internationale, une certaine stabilité de l’offre de monnaie puisque le système permet aux pays de se préoccuper davantage de leur taux de change. En revanche, la concurrence entre les centres or à pu le déstabiliser. La sortie de la guerre a nécessité des politiques déflationnistes, souvent maladroites au Royaume-Uni et en France. Ces pays défendent leur monnaie à l’échelle mondiale pour faire face à la généralisation du dollar dans les échanges, étant déjà devenue la monnaie de référence. Ces divergences d’ordre politique, notamment monétaire, ont incité dès les premières années de la crise, à des réformes protectionnistes. Les échéances non réglées, les capitaux placés à l’étranger donnent lieu à des rapatriements, parfois tardifs (l’Angleterre perd 70 millions de livres gelées en Allemagne et en Autriche). Il y a pénurie de liquidités dans les réserves des banques centrales du fait de trop des demandes de reconversion des monnaies en or. Ce phénomène n’incitent plus l’investissement, du fait de la hausse du taux d’intérêt, et peut permettre une régulation mécanique entre l’offre et la demande de biens. C’est sans compter sur un chômage croissant et une inflation persistante, plombant la demande. La surproduction aurait très bien pu se maintenir pendant plusieurs années malgré une insuffisance de l’activité, elle reste donc une nouvelle fois relative au niveau de la demande mais plus généralement à la dynamique du système capitaliste.
2 Une crise aux facteurs multiples et aux impacts élargis
2.1 Une crise monétaire et financière
2.1.1 D’autres explications théoriquesUne justification de la crise est proposée par Friedman et Anna Schwartz. La politique monétaire restrictive menée par la FED dès 1928, après la mort de Benjamin Strong, tendait à réduire les liquidités et donc l’accès aux crédits par une hausse du taux d’escompte de 6%, ceci afin de lutter contre la spéculation. Les entreprises épuisent alors leurs réserves et doivent faire face aux difficultés de trésorerie des clients menant à des cessations de paiement. L’effondrement des valeurs boursières amènent de plus le retrait des dépôts par les épargnants induisant des faillites bancaires et une contraction de la masse monétaire.
Pour l’école keynésienne, ce n’est pas la surproduction mais l’insuffisance de la demande globale et de la politique monétaire qui ont conduit à la crise. Leur analyse se fonde davantage sur une sortie de la crise mais laisse tout à penser que la politique monétaire restrictive et la hausse des taux d’intérêts ont nuit aux agents économiques puisque la masse monétaire doit augmenter avec l’activité économique, thèse aussi soutenue par l’école monétariste.
2.1.2 L’origine de la crise est aussi d’ordre institutionnelle et socialeOutre la crise boursière, liée à un excès des mouvements spéculatifs, à l’émergence de trop nombreuses sociétés d’investissement, il semblerait que la crise résulte de carences du système bancaire américain. Les relations autant géopolitiques que géoéconomiques, tissées entre le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis à la sortie de la guerre, ont rendues dépendantes ces économies nottament en matière d’emprunt. Le système bancaire américain a aussi un impact direct sur la conjoncture allemande, puisque les Réparations se fondent en partie sur les emprunts américains. La « guerre d’influence » entre la Banque centrale à New York et la Federal Reserve Board à Washington. La structure fédérale, composée de petites banques, à faible capital et spécialisée, handicape le rationalisme de la politique monétaire américaine.
Dans l’hypothèse d’une surproduction à l’origine de la crise, il n’est toutefois pas négligeable de remettre en cause la manière de caractériser cette crise. Si l’on se fonde à la genèse du phénomène on peut très bien parler d’une crise d’instabilité politique et financière, voire d’une crise du système bancaire et monétaire international. En revanche, si on généralise l’impact de la crise jusqu’aux années 40, on peut très bien parler d’une crise du laisser-faire, avec l’intervention de l’Etat qui devient pragmatiquement et théoriquement nécessaire dès les années 30, voire d’une crise économique et sociale. La hausse du chômage, la montée des inégalités quoique atténuée par la baisse de la proportion de riches, laissent toujours inchangée des problèmes de répartition. On peut très bien considérer une crise de surproduction mais cela doit nécessairement s’accompagner de limites et de perspectives posées préalablement à l’analyse.
2.2 Le mythe de la surproduction
2.2.1 La crise économique
On peut s’interroger sur la véracité d’une surproduction, particulièrement en France. Jacques Néré évoque alors un « mythe de la surproduction ». Il est en effet difficile de faire l’impact sur la crise économique. La pénurie des crédits a incité à une baisse de l’investissement, des salaires, à certaines faillites, à une baisse de la consommation et même à une réduction des débouchés. Evoquer une crise de surproduction est surtout oublier que le revenu national américain a chuté de 55% entre 1929 et 1933. L’agriculture, déjà en crise dès les années 20, est durement touchée avec une crise dite en « ciseaux » conduisant à la ruine des petites fermes (Steinbeck, « Les raisons de la colère »). Enfin, la raréfaction du crédit handicape le secteur industriel, comme l’automobile, et contraint l’activité sidérurgique à une sous-exploitation de ses capacités de l’ordre de 12%.
2.2.2 Une sous-consommation latente
La pauvreté et les inégalités sociales persistent. L’interventionnisme étatique est encore réduit alors que la redistribution est préconisée par Keynes, notamment sur les plus pauvres aux propensions marginales à consommer les plus fortes. Enfin, les marchés engorgés n’induisent nullement une saturation des besoins de la population.
Conclusion
Si 1929 est l’année d’une crise résultante d’un point de retournement dès 1928, l’assimilée uniquement à une crise de surproduction rend compte d’un manque de perspective et de connaissance des débats qui ont fait suite à cette période. De profondes mutations ont lieu, notamment dans les entreprises avec l’émergence des experts de la vente et du marketing pour écouler les stocks. Mais d’autres aspects sont à distinguer tel que l’interventionnisme croissant de l’Etat, une conception différente des objectifs à atteindre en matière de politique budgétaire et monétaire et surtout des changements sociaux et politiques tels el New Deal ou le Front Populaire. Les conséquences de la crise s’étaleront jusqu’en 1940 avec l’entrée en guerre des Etats-Unis. Cette fois-ci, c’est l’ordre mondial et idéologique qui est en cause.
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