24 juin 2008

L'indépendance de la BCE

Voici un thème assez récurrent dès qu’il s’agit d’évoquer la politique monétaire d’un pays. La régionalisation que constitue la zone euro est une véritable évolution dans la typologie des régimes de change. Dans la lignée de la dollarisation et de l’euroïsation, la Banque Centrale Européenne se voit confier la gestion exclusive de la politique monétaire de quinze Etats-membres de l’Union européenne avec pour principal objectif la stabilisation des prix.

Je ne m’aventurerai pas vers une description poussée des critiques émises par certains candidats à la présidentielle de 2007 en France, ou encore à un historique exhaustif justifiant l’émergence du traité de Maastricht et celui d’Amsterdam. Plus simplement, ce billet pourrait très bien être remis en cause du fait qu’il ne justifie pas réellement l’indépendance de la BCE mais tout simplement se veut légitimer l’indépendance des Banques centrales. Or, la FED est comprises dans cette analyse alors que ses objectifs de plein-emploi tendent à illustrer les critiques adressées à la BCE. Je veux juste attirer l’attention sur quelques points qui pourraient être utiliser à bon escient pour démontrer les bienfaits d’une entité économique indépendante et non seulement monétaire (mêmes si les arguments édictés s’adaptent à cette situation). La problématique relève avant tout de la gouvernance : comment répartir les possibilités de régulation entre Etat-membre et entités supranationales alors que celles-ci sont généralement détenus par les gouvernements ? Mais surtout (et ce sera notre démarche) pourquoi répartir ?

Un premier élément est au fondement de la politique économique. Jusqu’aux années 1950, la politique économique résultait d’une analyse par l’économiste adressée au décideur public qui se chargeait de l’appliquer. Depuis, un troisième acteur est intervenu. Les agents économiques peuvent anticiper ou réagir aux décisions publiques représentant de ce fait de nouvelles contraintes dans les exercices de modélisation (voir les anticipations rationnelles, John Muth, 1961). Les modèles d’équilibre général calculables (MEGC) souvent utilisés pour des réformes structurels (exemple du FMI ou de la Banque Mondiale) doivent alors intégrer ces nouvelles variables aléatoires qui limitent leur efficacité. Mais ces contraintes ne s’exercent pas seulement dans le cadre de la modélisation des politiques économiques. Elles renforcent l’intérêt propre et particulier du décideur public, souvent l’homme politique, qui doit optimiser le bien être social selon la durée de son mandat soulevant des problèmes d’incohérences temporelles. En 1977, Kydland et Prescott mettent en évidence qu’une politique optimal ex-ante peut ne pas l’être ex-post. Par exemple un objectif de faible inflation peut être souhaitable ex-ante alors qu’une politique inflationniste le sera à son tour ex-post. Les auteurs préconisent alors un refus catégoriques de toutes politiques discrétionnaires, soit le refus d’une optimisation à chaque instant. Le Pacte de stabilité et de croissance représentent une conséquence de ces recommandations : les Etats-membres doivent respecter des règles et s’y tenir. La vie démocratique soulève ainsi les problèmes de la responsabilité du politique envers la masse, de ses convictions et de sa future réelection.

Mieux, l’élection politique concilie deux intérêts particuliers. Celui du candidat d’une part, et celui du votant d’autre part qui tend à élire celui répondant au mieux à ses intérêts. Ainsi, le candidat à l’élection cherchera à satisfaire le plus d’individus possible. Dans un article de 2000, Prescott et Tabellini proposent un diaporama de modèles visant à représenter le comportement des responsables politiques. Ils montrent ainsi que les partis politiques tenteront d’attirer les préférences de l’électeur médian pour recouvrir la plus large partie de la population. Or cet électeur médian ne correspond ni aux intérêts des plus désavantagés, ni à ceux des plus avantagés. Il n’y a, pour reprendre la courbe des possibilités de Stiglitz et Atkinson, ni maximisation de la fonction benthamienne, ni maximisation de la fonction rawlsienne vis-à-vis de l’utilité sociale et totale résultante d’une telle stratégie.

La Banque Centrale Européenne s’établit donc dans un objectif précis : priver le législateur du droit d’amender le mandat en le subordonnant à un ordre juridique supérieure à la loi (Traité de Maastricht). Nous pouvons relever deux avantages notamment. Le premier et de déresponsabiliser le politique du fait des problèmes d’incohérences temporelles (temps d’application de la politique économique et durée du mandat) et de crédibilité. Une autorité indépendante ne se préoccupera pas de l’opinion publique et de sa réaction, préférant se concentrer sur ses objectifs. Le second avantage est la « dépolitisation » des décisions. Le « political business cycle » proposé par Nordhaus en 1975 est vérifié empiriquement par Persson et Tabellini en 2001. En France, sur une durée de 6 ans du cycle électoral, les trois premières années sont pauvres en croissance annuelle et triple voire quadruple les années de fin de mandat avec des taux d’investissement (FBCF) élevés. Ces deux auteurs montrent ainsi que l’endettement public est positivement corrélé avec le degré d’instabilité politique.

Maskin et Tirole en 2001, puis Alesina et Tabellini en 2004 justifie la décision technocratique dans de nombreux cas. Ainsi, la gestion de la politique monétaire confiée à la BCE est expliquée par l’aspect technique de ce type de politique, par des critères de performances définis, par la difficulté pour les électeurs de constater les effets de chaque décision, par le risque d’incohérence temporelle des choix publics, par les possibles lobbying politiques influençant le décideur public et enfin par les contraintes intergénérationnelles pesant dans l’arbitrage de la politique monétaire.

Voici donc quelques arguments justifiant l’indépendance de certaines autorités et dans notre cas de la BCE. Les arguments ici ne sont pas d’ordre monétaire mais davantage normatif mais s’appuient tout autant sur l’étude d’économistes soucieux de justifier rigoureusement pourquoi la diffraction verticale du pouvoir public à l’échelle nationale ne se limite pas au débat portant sur l’évolution de l’Union européenne.

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