27 nov. 2012

Fausses idées reçues à propos des liquidités bancaires: une clarification en 5 points

D
nombreux articles sur des blogs économiques réputés « sérieux » font état de confusions à propos du concept de « liquidités bancaires » et de ses implications. Les remarques de Peter Stella (ancien directeur du département banques centrales au FMI) dans l’article « The base money confusion » paru dans le blog du Financial Times font d’ailleurs état de certaines de ces confusions. Le but de cet article est de clarifier ce concept et les raisonnements liés, sous forme de cinq points clés.


Quelques définitions préalables sur le concept de liquidités
Au préalable, accordons nous sur quelques définitions. Il existe différents concepts de liquidité qu’il est important de ne pas mélanger :
- la « liquidité d’un marché » traduit la facilité à vendre rapidement des actifs sur ce marché sans que cela ait d’influence considérable sur leurs prix
- la « liquidité macroéconomique » fait référence, si l’on prend la définition donnée par Patrick Artus (2012), à la somme de 2 composantes : la liquidité créée par la banque centrale et les actifs liquides - au sens de la liquidité de marché - que les agents non financiers choisissent de conserver dans leur portefeuille
- la « liquidité d’une banque (ou d’une entreprise) » traduit sa capacité à faire face à ses obligations/décaissements suivant leur échéance
- le concept « liquidités d’une banque » désigne l’ensemble des actifs « liquides » au sens de la liquidité de marché qu’une banque possède, c'est-à-dire l’ensemble des actifs rapidement mobilisables sans perte de valeurs (on notera la subjectivité d’une telle estimation).

Nous nous intéressons ici au dernier concept. Pour la suite, nous prendrons une définition stricte des liquidités d’une banque (que nous pourrons aussi nommer dans ce sens « trésorerie bancaire ») : nous y ferons référence pour désigner la somme des avoirs des établissements de crédit auprès de la banque centrale. Cette définition englobe donc aussi bien les montants sur le compte courant d’une banque à la banque centrale (dit communément « réserves », et comprenant donc les réserves obligatoires et les réserves excédentaires) et les montants placés par la banque à la facilité de dépôt de la banque centrale. Cette définition est très stricte dans le sens où elle ne comporte que les actifs très liquides, à savoir la composante scripturale de la monnaie centrale. On pourrait l’élargir en y incorporant les actifs du marché monétaire détenus par les banques mais ce serait aller à contre courant des termes employés usuellement.

 « liquidités d’une banque » et « liquidités des banques » : les comportements individuels des banques n’ont pas d’influence significative sur le niveau total des liquidités bancaires du système
Quand en économie bancaire on parle de liquidités, le concept peut s’intégrer au niveau d’une banque ou au niveau des banques considérées dans leur ensemble (c'est-à-dire le système bancaire). L’idée essentielle à comprendre ici est qu’un établissement bancaire peut modifier la quantité de liquidités qu’il possède alors que les liquidités dans le système bancaire ne seront pas influencées par les comportements individuels des banques (à 2 exceptions marginales près, citées dans la note de bas de page 1). Autrement dit, le circuit des liquidités bancaires est un circuit fermé, dans lequel les fuites sont exogènes au système bancaire de même que les réapprovisionnements (dépendant de la volonté de la banque centrale).

Partons d’un exemple concret pour comprendre cette idée. Supposons qu’une banque A achète un actif de valeur 100, disons par exemple une obligation d’Etat. Vous et moi avons un compte chez une banque, les banques, elles, ont leur compte à la banque des banques, c'est-à-dire la banque centrale. Ainsi, si A achète cet actif à une autre banque B, la banque A va voir son compte à la banque centrale diminuer de 100 et la banque B voir son compte courant à la banque centrale augmenter de 100. Le résultat est une baisse des liquidités bancaires pour A contrebalancée par une hausse des liquidités bancaires pour B : les liquidités totales dans le système n’ont pas bougées. Supposons maintenant que A achète cet actif à un ménage ou à une entreprise. L’opération se fait en créditant le compte de la banque où l’entreprise ou le ménage a son compte, ce qui revient au même que si la banque avait acheté cet actif directement à cette banque. Ainsi si l’acheteur a son compte à la banque B, la banque A voit son compte débité de 100 en échange de l’actif, et la banque B son compte augmenter de 100 avec son nouveau dépôt de 100. Il faut bien voir que la monnaie centrale scripturale est une monnaie qui n’a du sens uniquement au sein du système bancaire, c’est donc comme si les choses se passaient dans cet ordre : d’abord la banque A achète le titre en échange de monnaie scripturale, ensuite le ménage ou l’entreprise vient remettre cette monnaie scripturale à la banque B en échange d’un « bon de reconnaissance de créance », ou plus simplement appelé « dépôt ». En fonction de ses propres besoin, la banque B choisira elle-même soit de conserver ces réserves, ou soit d’acheter des titres divers. Quand une banque achète un actif à un ménage ou une entreprise les réserves de cette banque sont simplement transférées sur le compte de la banque de ce ménage ou entreprise en contrepartie du dépôt. Il en est de même lorsqu’une banque « vend » un crédit une autre banque. Pas besoin de développer en ce qu’il s’agit des opérations de crédit puisqu’il n’y a pas de risque de confusion dans ce cas. L’idée à retenir est donc que les réserves ne quittent pas le circuit de par le comportement des banques[1].

Les seuls agents pouvant influencer le niveau des réserves bancaires sont les agents non bancaires et la banque centrale[2]
Partons d’exemples concrets pour expliquer comment les réserves bancaires varient. Si les agents économiques non bancaires augmentent leur demande de billets (à l’occasion des fêtes de fin d’année par exemple), alors les réserves diminueront. En effet la banque devra « acheter » des billets à la banque centrale, le compte courant de la banque va être débité en échange de ces billets. De même quand un agent se doit de payer le trésor public (qui a en général son compte à la banque centrale), l’opération va se traduire par un transfert du compte de la banque de l’agent considéré au compte du Trésor, soit en réalité un débit du compte courant de la banque pour créditer le compte courant du Trésor à la banque centrale. Ces facteurs sont souvent dénommés par « facteurs autonomes » dans la mesure où ils ne résultent pas du comportement de la banque centrale. Les réserves des banques peuvent également diminuer ou augmenter du fait de « facteurs institutionnels » qui résultent eux du comportement de la banque centrale. La banque centrale détient le monopole sur l’émission de base monétaire : elle peut à tout moment (toute chose égale par ailleurs en circonstances normales) retirer ou ajouter de la liquidité. Si elle veut retirer de la liquidité, elle peut vendre aux banques des titres qu’elle détient[3], si elle veut en ajouter, elle en achète ou fait des opérations de prise en pension (pour de la liquidité temporaire). Dans tous les cas la décision d’accorder ou de retirer de la liquidité provient de la banque centrale. On le voit actuellement en zone euro dans la mesure où les mouvements importants sur le compte « réserves » de la BCE proviennent des actions entreprises par la banque centrale, à savoir principalement de l’opération de refinancement de long terme (LTRO).

On peut parfois voir des articles stipulant directement ou indirectement que le montant important sur le compte « réserves » de la banque centrale témoigne d’une préférence des banques pour les liquidités (sous-entendu qu’un comportement différent des banques changerait ce montant), ou encore que les banques choisiraient entre stocker des réserves et faire du crédit, l’augmentation des réserves signifiant qu’elles ne font pas de crédit[4]. Ou encore, sous une autre forme, que le niveau excessif des réserves excédentaires signifierait que les banques ne prêtent pas. Les explications énoncées ci-dessus permettent de comprendre que ces affirmations sont erronées puisqu’elles proviennent de confusions à propos du concept de liquidités bancaires.

Il n’y a pas de corrélation immédiate entre le niveau de réserves des banques et le niveau des prêts dans l’économie : les banques ne « prêtent » pas des réserves
Comme nous l’avons dit précédemment, les réserves des banques constituent un circuit fermé. Lorsqu’une banque fait un crédit, elle va créer de la monnaie dans le sens où elle va schématiquement créer un dépôt qui n’existait pas auparavant. Supposons que la banque A accorde un crédit de 100 à Mr Durant. Elle va créditer de 100 le compte de Mr Durant chez elle et créer un poste « créance sur Mr Durant » à son actif. Elle n’a donc pas prêté des réserves à Mr Durant, elle a simplement créé une créance a son actif et de la monnaie à son passif. Le niveau de réserves n’a pas bougé, seule la répartition a quelque peu bougée si l’on suppose l’existence de réserves obligatoires (ce qu’on négligera par la suite[5]). On voit à travers cet exemple bien qu’un même niveau de réserves peut correspondre à plusieurs niveaux de crédits dans l’économie : les banques ne « prêtent » pas des réserves.

Certes, il serait incorrect de dire que la quantité de crédit est totalement indépendante du niveau de réserves. La banque A pourrait refaire cette même opération plusieurs fois, avec pour seule contrainte de se préparer à des « fuites » hors de son circuit interne : elle devra potentiellement garder une quantité de réserves au cas où Mr Durant effectuerait des transactions avec des clients de la banque B et au cas où il demanderait des billets. Dans le premier cas, elle devra en effet payer la banque B avec une monnaie communément acceptée, à savoir la monnaie banque centrale (donc des réserves comme expliqué précédemment). Pour cela soit elle décide de garder un niveau minimum de réserves pour satisfaire cette exigence, soit elle emprunte auprès d’autres banques ou auprès de la banque centrale une fois l’exigence matérialisée[6]. On voit bien ici que si la banque centrale prévoit une fuite de 10% du crédit et ne veut pas emprunter la quantité de monnaie en question quand les exigences se matérialiseront elle accordera des crédits pour un montant maximum de 10 fois ses réserves. C’est donc suivant cette approche le montant maximum de crédit qui est corrélé avec le niveau des réserves au niveau individuel[7]. Mais si les banques ne suivent pas cette approche la limite ne dépend plus du niveau des réserves dans la mesure où chaque banque peut toujours obtenir des réserves soit auprès de ses consœurs ou bien auprès de la banque centrale à la facilité de prêt marginale ou au guichet de l’escompte (ou sous forme de découvert sur compte courant) lorsque les réserves du système bancaires ne sont pas suffisantes (cas extrême). Dans ce dernier cas, on voit bien que le niveau des réserves ne contraint pas la capacité de la banque à faire un crédit, mais peut altérer la profitabilité de ses crédits dans le cas où la banque devrait aller au guichet de la banque centrale. Le point principal demeure : il n’y a pas de corrélation immédiate entre le niveau des réserves et le niveau du crédit, quand le crédit repart, les réserves ne « partent » pas de la banque centrale mais restent bien au même niveau.

Lorsque les banques « utilisent » les réserves excédentaires, cela ne veut pas dire que les réserves diminuent, cela signifie qu’elles conduisent à l’augmentation de la masse monétaire
Les politiques d’assouplissement quantitatif menées actuellement ont beaucoup augmenté le niveau des réserves dans le système bancaire. Beaucoup d’économistes plaident pour que les banques « utilisent » ces réserves, et le sens de cette tournure est parfois mal compris. Ce principe est simple à comprendre après ce que nous avons expliqué précédemment. Les réserves des banques ne peuvent pas diminuer de par leur comportement, en revanche ce qu’on attend d’elles est qu’elles « utilisent » ces réserves en augmentant le crédit ou leurs achats de titres aux entreprises ou aux ménages. Dans le premier cas, on l’a dit plus tôt, la quantité maximale de crédit potentielle a augmenté de par l’augmentation des réserves : les banques ne peuvent plus rechigner à augmenter le crédit de par des craintes de « fuites » et donc par un manque de liquidité potentiel. Dans le cas d’achats d’actifs, cela se traduira par une augmentation de la masse monétaire si les banques achètent des actifs aux ménages ou aux entreprises (qui vont donc augmenter leurs dépôts). C’est donc une augmentation de la demande de monnaie dans ce dernier cas, qui aura des pressions inflationnistes, en premier lieu sur les actifs. C’est d’ailleurs seulement à partir du moment où la base monétaire « passe » dans la masse monétaire que les pressions inflationnistes apparaissent. Le but de cet article n’est pas de commenter l’impact économique, mais simplement de souligner que lorsque les banques « utilisent » leurs réserves cela ne veut pas dire que ces dernières diminuent. L’élément important à surveiller est donc la variation de la masse monétaire suite à la variation de la base monétaire : si la dernière est « passée » dans la première, alors on peut en déduire quelque chose sur le comportement des banques[8].

Les banques commerciales ne financent pas les achats d’actifs de la banque centrale via leurs réserves : il ne faut pas confondre la poule et l’œuf
Cette confusion provient d’un article troublant que j’ai pu lire sur le blog du Monde.fr « La BCE se finance auprès des banques, qu’elles le veuillent ou non ». L’auteur de ce post, pourtant PDG d’une banque d’affaires à New York, indiquait dans son billet que la BCE finançait « l’essentiel de ses crédits aux institutions financières par des dépôts bancaires ». Il s’appuie pour cela sur un paradigme alléchant, s’appuyant sur le fait que lorsque les réserves des banques augmentent, les crédits aux banques augmentent dans le même temps. L’auteur va même jusqu’à soutenir que les banques des pays riches, qui ont beaucoup de liquidités, financent les banques des pays pauvres indirectement via le compte « réserves » de la BCE et ses activités de prêts aux banques. Ce raisonnement peut conduire à une confusion totale lorsqu’on lit « un accroissement des besoins de la BCE sous la forme d’achats d’obligations italiennes ou espagnoles pose la question de son financement : compte-t-elle le faire partiellement sous forme de réserves minimum ? ». L’auteur de cet article, comme les lecteurs qui n’ont pas relevé cette erreur, n’ont vraisemblablement pas bien intégré qui était la poule et qui était l’œuf dans le système monétaire. La banque centrale ne se finance pas par les banques puisque l’argent qui est à son actif dans la ligne « réserves » a déjà un actif qui lui correspond. Autrement dit, lorsque le compte réserves des banques augmente, c’est parce que la banque centrale a émis cette monnaie banque centrale : soit en achetant un titre aux banques, soit en faisant une prise en pension, via du repo ou via une opération de refinancement. Elle a créé de la monnaie banque centrale en créditant simplement le compte de la banque considérée (création monétaire « électronique »). La causalité va forcément dans ce sens, puisque, comme nous l’avons expliqué tout à l’heure, la banque centrale détient le monopole de l’émission de la base monétaire. En quelque sorte la banque centrale est la poule, et le compte « réserves » des banques est l’œuf, il n’a pas de sens de dire que les réserves financent les achats d’actifs de la banque centrale[9].



[1] Sauf bien sûr si les banques décident de détenir des billets à la place de la monnaie scripturale, fait que l’on ne rencontre pas en général (les billets ont un coût de détention –coût de sécurisation et de stockage notamment- supérieur au coût de tenue de compte à la banque centrale) ou lorsque celles-ci décident d’emprunter à la facilité de prêt marginale (en général les montants y sont négligeables)
[2] A l’exception près citée dans la note de bas de page précédente
[3] Il y a bien sûr d’autres possibilités : faire du reverse repo, taxer les compte courants (équivalent à mettre un taux d’intérêt négatif) ou proposer des dépôts à terme aux banques
[4] Certains objecteront que l’augmentation des réserves excédentaires (et non pas les réserves dans leur ensemble) conduit à cette conclusion. Ce n’est pas ce que je souhaite originellement souligner ici. Cependant, en zone euro, le taux de réserves obligatoire étant relativement faible, une augmentation des crédits ne ferait pas diminuer significativement le montant des réserves excédentaires de sorte que cette conclusion pourrait s’appliquer, certes avec une petite nuance.
[5] Dans certains pays comme le Canada ou l’Angleterre les banques n’ont pas d’exigences de réserves obligatoires comme en Europe
[6] D’un point de vue théorique, elle pourrait aussi vendre des actifs, vendre des prêts (le « loan sale » plus répandu aux Etats-Unis), faire de la titrisation ou encore réduire ses prêts (ne pas renouveler des prêts à court terme par exemple). Ces actions sont néanmoins généralement plus coûteuses que l’emprunt interbancaire.
[7] On peut éventuellement croire à la théorie du multiplicateur du crédit sur le long terme mais ceci est un autre débat
[8] Implicitement on suppose ici une approche exogène de la monnaie mais cela ne biaise pas le raisonnement
[9] Ajoutons que si les titres achetés arrivent à maturité, la base monétaire correspondante sera simplement détruite, dans le sens où la société qui remboursera le nominal de l’obligation paiera avec son compte courant (dépôt bancaire), ce qui se traduira par un paiement équivalent de la banque envers la banque centrale avec la seule monnaie que la banque centrale accepte, à savoir la monnaie banque centrale. La banque centrale va donc au final débiter le compte courant de la banque correspondante, ce qui se traduira par une baisse les liquidités bancaires

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