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e dernier rapport
de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) laisse peu de
place au doute : avec un déficit de plus de 8,6 milliards d’euros en 2011
(pour des dépenses de soins totales de 220 milliard d’euros dont 167,1 à la
charge de l’assurance maladie), des mesures pour rétablir l’équilibre
budgétaire de l’assurance maladie doivent être prises, afin de ne pas
compromettre la viabilité à moyen terme du système d’assurance maladie.
Ce rapport n’est
toutefois pas uniquement pessimiste, en ce que les efforts ayant déjà été
réalisés portent partiellement leurs fruits. Suite à la très forte augmentation
des dépenses de santé au début des années 2000, des politiques de maîtrise ont
été mise en place afin de modifier les comportements et les pratiques médicales
(par exemple l’accent mis sur la gestion du risque et la maîtrise médicalisée) et depuis 2010 l’augmentation des dépenses de
santé enregistrée est conforme à celle initialement votée. Il n’empêche, des
économies (ou une augmentation des ressources) d’environ 2,8 milliards d’euros
par an, doivent être réalisés afin de limiter la croissance des dépenses à 2,5%
(contre 4,4% aujourd’hui).
Ce rapport met
ainsi l’accent sur la nécessité de maîtriser ces dépenses via l’optimisation
des parcours médicaux. Certes il est très possible d’améliorer l’offre de soin,
mais il semble peu probable que cela soit suffisant pour atteindre les
objectifs fixés, d’autant plus que le contexte de crise économique va entrainer
une diminution des ressources de l’assurance maladie.
Vieillissement, progrès technique et
dépenses de santé
Constater
l’importance et la non soutenabilité du déficit de l’assurance maladie ne suffit
pas. Celui-ci résulte d’une hausse importante des dépenses de santé à la fin
des années 90 et aux débuts des années 2000, quand les montants cotisés pour financer l’assurance maladie
stagnaient (on peut ainsi constater que le problème est structurel et non lié à
la crise actuelle). Mais pourquoi une telle augmentation des dépenses de santé
au cours du temps ? Et peut-on croire qu’une amélioration de l’efficacité
de la prise en charge du patient suffira à réduire sensiblement ces dépenses?
Le vieillissement
de la population est une explication souvent avancée pour expliquer cette
augmentation des dépenses de santé. L’argument repose sur une arithmétique
simple, une personne âgée consomme plus de soins qu’une autre et la population francaise
vieillit. Pourtant, plusieurs études récusent la responsabilité des « papy boomers ».
B. Dormont, M.
Grignon et H. Huber (Health Expenditure Growth : Reassessing
the Threat of Ageing) démontrent que si les dépenses de santé ont augmenté
de 54% entre 1992 et 2000 seulement 3% de cette augmentation est imputable au
vieillissement de la population. Fait a priori contre intuitif, c’est le
progrès technique qui explique la majeure partie de cette hausse des dépenses
de soins : les changements dans les pratiques médicales ont ainsi entrainé
une hausse de 58% des dépenses de santé (1).
Le progrès
technique dans le domaine médical permet non seulement une diminution des coûts
des différentes interventions, mais il permet aussi et surtout de faciliter
l’accès aux soins à des personnes qui en étaient auparavant privées. Il y a
alors un paradoxe : c’est parce que les patients sont mieux pris en
charge, avec des techniques médicales plus efficaces, que le déficit augmente.
L’ONDAM a raison
de viser l’efficacité productive de nos systèmes de soins : le gaspillage
est socialement nuisible, mais une recherche réelle de l’efficience de notre
système (si elle n’est pas un prétexte afin de rationner l’accès au soin)
pourrait avoir un effet finalement inverse sur les déficits: plus de personnes
seraient mieux traitées à un coût unitaire de traitement moins élevé. Rien ne
garantit que le coût total de notre système de santé (nombre de patients x coût
unitaire) diminue lui aussi. L’effet de volume, l’augmentation du nombre de
patients induit par de meilleures pratiques pourrait l’emporter sur la baisse
des coûts.
Si le problème
n’est pas démographique, une solution mécanique est inenvisageable. Une
réflexion et une concertation sont alors nécessaires afin de pondérer justice
et soutenabilité économique.
Plus
précisément,
il faut se demander si la société évalue suffisamment sa santé
pour accepter de financer son système de soin. Il faut également se demander si
les entreprises peuvent contribuer suffisamment au système de soin. Quelles
seraient les conséquences sur nos sociétés d’un déremboursement croissant des
dépenses de soins, au travers par exemple d’une augmentation du ticket
modérateur ou d’une limitation de la sphère des soins remboursés ?
Les individus sont-ils prêts à payer
pour l’assurance maladie ?
Comme l’explique
B.Dormont, quand on leur demande, les individus se déclarent prêts à payer une
part importante de leur revenu pour vivre plus longtemps et en bonne santé. Une
fois ce premier jalon posé, les difficultés méthodologiques rendent presque
difficiles les évaluations de la disposition à payer des individus pour le
système de soin, c’est-à-dire le montant total de leur budget qu’ils sont prêts
à allouer au financement de l’assurance santé.
En s’appuyant
sur des outils comme « la valeur statistique de la vie », il est
toutefois possible d’obtenir une première appréciation de la
« rentabilité » des nouvelles pratiques médicales qui entrainent
cette augmentation des dépenses de santé.
Citant les travaux de Cutler, B.Dormont explique qu’une valeur
(conservatrice) d’une année de vie supplémentaire serait d’environ $100 000
aux Etats-Unis. En prenant en compte cette valeur, l’écrasante majorité des
nouvelles techniques de soins dégagerait d’importants bénéfices.
L’exemple des
infarctus est instructif. Les nouvelles techniques de soins permettent un gain
d’environ un an d’espérance de vie pour les personnes ayant connu un infarctus.
En soustrayant un cout de la vie de $30 000 pour cette même année, on
obtient une valeur résiduelle sept fois supérieure au coût du traitement
($70 000 pour un coût de $10 000 du traitement).
En utilisant une
fois de plus l’approche de « la valeur statistique de la vie » (cette
valeur est obtenue en comparant le montant qu’un individu est prêt à dépenser
pour une diminution marginale d’un risque), il est également possible d’estimer
quelle serait l’augmentation du PIB si les gains d’espérance de vie étaient
étaient intégrés à la valeur que leur attribuent les individus (2). Murphy et
Topel (2006) ont ainsi estimé que la valeur annuelle des dépenses de santé aux
USA serait de 32% du PIB, valeur très largement supérieure au 15% du PIB
consacrés par les Etats-Unis en dépense de santé.
La société dans
son ensemble valorise fortement les dépenses de santé. Mais qu’en est-il des
entreprises ? Le système français d’assurance maladie a ceci de
particulier qu’il est en grande partie financé par les cotisations patronales.
La part des cotisations patronales dédiées aux « Maladie, maternité,
invalidité, décès, solidarité » s’élève à 13,10% du salaire total versé.
Il convient donc de se demander si les entreprises reçoivent une
contrepartie sous la forme de gains de productivité.
Productivité
et assurance santé
La question des
gains, ou des pertes de productivité entrainées causés par l’assurance maladie
est essentielle pour deux raisons. Premièrement, elle permet de poser la
question de la participation des entreprises au financement du système de
santé. Deuxièmement, elle permet de mesurer le gain social d’une assurance
maladie sous un autre angle que celui de la « valeur statistique de la
vie », concept obscur aux non spécialistes et qui peut sembler cynique
auprès du grand public. Il ne s’agit plus de mesurer la valeur que donnent les
individus à leur santé mais des gains productifs directs.
Cependant, les
études réalisées sur ce sujet en France sont soit rares, soit inexistantes et
il faut se tourner vers des travaux américains et canadiens pour étudier les
effets des assurances maladies sur la productivité des travailleurs.
Un premier fait
observé par Guy Lacroix semble induire
une réponse simple à cette question : plus un système de santé est
généreux (en termes de journée d’absentéisme pleinement compensée par
l’assurance maladie), plus les travailleurs ont tendance à être absents. Au
contraire, lorsque les politiques ont étés durcies en Allemagne ou dans les
pays Scandinaves, une diminution de l’absentéisme au travail a été constaté. Il
y aurait donc des « abus » de la part de certains travailleurs qui
profiteraient d’un système généreux d’où
une perte en productivité induite par l’assurance maladie. Des gains de
productivités nécessiteraient donc un système moins généreux.
Cependant, des études américaines (par exemple : Health and Productivity Among U.S. Workers de Karen Davis et al. 2005) montrent que les
principaux problèmes auxquels font face les entreprises n’est pas l’absentéisme
des malades mais au contraire leur « présentéisme ». Les travailleurs
sans assurance maladie et n’ayant pas la possibilité de se reposer quelques
jours chez eux voient leur productivité chuter drastiquement pour des périodes
plus longues que les autres ayant la possibilité de se reposer, sans voir leur
revenu sensiblement diminuer. Par ailleurs, ils sont largement plus sujets aux
maladies « de long terme » qui les empêchent durablement de reprendre
le travail. Enfin, ils exercent une externalité négative sur leurs collègues
qui ont plus de chance de tomber malade à leur tour.
Pour illustrer
le problème du présentéisme, on peut
lire Ron Goetzel et al qui estiment que sur les trois à quatre
cent dollars qu’un employeur dépense chaque année par employé pour
l’hypertension, les problèmes cardiaques, les dépressions et l’arthrite,
seulement 10 à 20% sont expliqués par l’absentéisme des travailleurs quand 18 à
60% de ces dépenses sont expliqués par le présentéisme
des employés.
Un autre article
« Health insurance as a productive
factor », écrit par Allan Dizioli and Roberto Pinheiro, s’oppose plus
directement à celui de Guy Lacroix, puisqu’il montre qu’aux Etats-Unis, les
employés possédant une assurance maladie sont 52% moins absents que leurs
homologues non couverts (ce qui représente 2-3
jours de travail par ans). Par ailleurs, un grand avantage de cette article est
de proposer un cadre d’analyse afin d’étudier les changements de règlementation,
et en particulier le cas où fournir une assurance maladie aux travailleurs
deviendrait obligatoire pour les entreprises aux Etats-Unis. Sous cette
hypothèse, on assisterait à une hausse de la productivité du travail (et une
diminution du nombre de travailleurs malades), une diminution du chômage, une
augmentation de la production totale, une diminution des écarts de salaires
entre grandes et petites entreprises, mais aussi une diminution du profit
agrégé des entreprises.
Bien sûr, le modèle présenté n’est pas complètement adapté pour étudier
le cas Français, où l’assurance maladie est obligatoire et en grande partie
centralisée avec des cotisations liées au salaire de l’employé. Il donne
cependant quelques pistes de réflexions. En effet, du fait du déficit
structurel de la sécurité sociale et de l’assurance maladie, il semble tentant
de vouloir diminuer la part publique de l’assurance
maladie pour laisser une plus grande latitude aux assurances et complémentaires
privées contractées directement par les individus ou négociées par les
entreprises.
Dans ce cas, une
réutilisation du modèle de Dizioli et Pinheiro prévoit une diminution du
produit intérieur brut, une augmentation du chômage et du nombre d’individus
malades dans la société et enfin, une polarisation encore accrue entre les
grandes entreprises, capable d’offrir de hauts salaires et des assurances
maladies, et les petites qui ne peuvent fournir les mêmes avantages aux
travailleurs.
Ainsi, si elle
profiterait aux entreprises, une diminution des cotisations sociales, associées
à une diminution des prestations de soins remboursés par l’assurance maladie,
pourrait être néfaste pour la société française (hausse du chômage et baisse du
PIB).
Conclusion
Il apparait que
nos sociétés accordent une valeur importante à la santé et donc à l’assurance
maladie au travers de deux mécanismes. D’une part les individus aiment être en
bonne santé. D’autre part les hommes en bonne santé travaillent mieux.
C’est pourquoi
le débat sur le financement de l’assurance maladie ne doit pas se concentrer
exclusivement sur des questions de diminution des coûts et d’optimisation des
parcours de santé : ces politiques n’auront qu’un effet limité sur les
déficits et peuvent même paradoxalement contribuer à son augmentation. Elles
sont par ailleurs souvent justifiées afin de diminuer la portée de l’assurance
maladie, ce qui est socialement néfaste.
Le véritable
problème est de définir qui doit financer ce système et dans quelle proportion.
Grace à l’assurance maladie, les entreprises profitent de gains de productivité
substantiels. Néanmoins une assurance maladie obligatoire réduit le profit
réalisé notamment pour les petites entreprises. Ce problème d’incitation est
probablement encore aggravé par la spécificité du système français qui augmente
très largement le coût salarial.
Un basculement
d’une partie de ce coût vers d’autres acteurs est probablement nécessaire mais
il semble injuste de reporter ce coût vers l’usager seul. Un report qui pourrait s’accompagner d’une
baisse du nombre de personnes bénéficiant de notre système de soin et ainsi
d’une contraction de la productivité du travail donc de l’activité économique.
Christophe LÉVÊQUE
Notes:
(1) Ce chiffre est à
morbidité donnée. Dans cette même période, la diminution de la morbidité a
permis une diminution de 10% des dépenses de santé. L’augmentation de la
population à également joué sur le niveau des dépenses (+3%) ; on retrouve
ainsi les 54% d’augmentation total.
(2) Actuellement,
les soins sont intégrés dans le PIB à la hauteur de leur coût.
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