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e nombreux articles sur des blogs économiques réputés « sérieux » font état de confusions à propos du concept de « liquidités bancaires » et de ses implications. Les remarques de Peter Stella (ancien directeur du département banques centrales au FMI) dans l’article « The base money confusion » paru dans le blog du Financial Times font d’ailleurs état de certaines de ces confusions. Le but de cet article est de clarifier ce concept et les raisonnements liés, sous forme de cinq points clés.
Quelques
définitions préalables sur le concept de liquidités
Au préalable, accordons nous sur quelques définitions. Il existe
différents concepts de liquidité qu’il est important de ne pas
mélanger :
- la « liquidité d’un
marché » traduit la facilité à vendre rapidement des actifs sur ce marché
sans que cela ait d’influence considérable sur leurs prix
- la « liquidité
macroéconomique » fait référence, si l’on prend la définition donnée
par Patrick Artus (2012), à la somme de 2 composantes : la liquidité créée
par la banque centrale et les actifs liquides - au sens de la liquidité de
marché - que les agents non financiers choisissent de conserver dans leur
portefeuille
- la « liquidité d’une
banque (ou d’une entreprise) » traduit sa capacité à faire face à ses
obligations/décaissements suivant leur échéance
- le concept « liquidités
d’une banque » désigne l’ensemble des actifs « liquides » au
sens de la liquidité de marché qu’une banque possède, c'est-à-dire l’ensemble
des actifs rapidement mobilisables sans perte de valeurs (on notera la
subjectivité d’une telle estimation).
Nous nous intéressons ici au dernier concept. Pour la suite, nous
prendrons une définition stricte des liquidités d’une banque (que nous
pourrons aussi nommer dans ce sens « trésorerie bancaire ») :
nous y ferons référence pour désigner la somme des avoirs des établissements de
crédit auprès de la banque centrale. Cette définition englobe donc aussi bien
les montants sur le compte courant d’une banque à la banque centrale (dit
communément « réserves », et comprenant donc les réserves
obligatoires et les réserves excédentaires) et les montants placés par la
banque à la facilité de dépôt de la banque centrale. Cette définition est très
stricte dans le sens où elle ne comporte que les actifs très liquides, à savoir
la composante scripturale de la monnaie centrale. On pourrait l’élargir en y
incorporant les actifs du marché monétaire détenus par les banques mais ce
serait aller à contre courant des termes employés usuellement.
«
liquidités d’une banque » et « liquidités des banques » : les
comportements individuels des banques n’ont pas d’influence significative sur
le niveau total des liquidités bancaires du système
Quand en économie bancaire on parle de liquidités, le concept peut
s’intégrer au niveau d’une banque ou au niveau des banques considérées dans
leur ensemble (c'est-à-dire le système bancaire). L’idée essentielle à
comprendre ici est qu’un établissement bancaire peut modifier la quantité de
liquidités qu’il possède alors que les liquidités dans le système bancaire ne
seront pas influencées par les comportements individuels des banques (à 2
exceptions marginales près, citées dans la note de bas de page 1). Autrement
dit, le circuit des liquidités bancaires
est un circuit fermé, dans lequel les fuites sont exogènes au système
bancaire de même que les réapprovisionnements (dépendant de la volonté de la
banque centrale).
Partons d’un exemple concret pour comprendre cette idée. Supposons
qu’une banque A achète un actif de valeur 100, disons par exemple une
obligation d’Etat. Vous et moi avons un compte chez une banque, les banques,
elles, ont leur compte à la banque des banques, c'est-à-dire la banque
centrale. Ainsi, si A achète cet actif à une autre banque B, la banque A va
voir son compte à la banque centrale diminuer de 100 et la banque B voir son
compte courant à la banque centrale augmenter de 100. Le résultat est une
baisse des liquidités bancaires pour A contrebalancée par une hausse des
liquidités bancaires pour B : les
liquidités totales dans le système n’ont pas bougées. Supposons maintenant
que A achète cet actif à un ménage ou à une entreprise. L’opération se fait en
créditant le compte de la banque où l’entreprise ou le ménage a son compte, ce
qui revient au même que si la banque avait acheté cet actif directement à cette
banque. Ainsi si l’acheteur a son compte à la banque B, la banque A voit son
compte débité de 100 en échange de l’actif, et la banque B son compte augmenter
de 100 avec son nouveau dépôt de 100. Il faut bien voir que la monnaie centrale
scripturale est une monnaie qui n’a du sens uniquement au sein du système
bancaire, c’est donc comme si les choses se passaient dans cet ordre :
d’abord la banque A achète le titre en échange de monnaie scripturale, ensuite
le ménage ou l’entreprise vient remettre cette monnaie scripturale à la banque
B en échange d’un « bon de reconnaissance de créance », ou plus simplement
appelé « dépôt ». En fonction de ses propres besoin, la banque B
choisira elle-même soit de conserver ces réserves, ou soit d’acheter des titres
divers. Quand une banque achète un actif à un ménage ou une entreprise les
réserves de cette banque sont simplement transférées sur le compte de la banque
de ce ménage ou entreprise en contrepartie du dépôt. Il en est de même lorsqu’une
banque « vend » un crédit une autre banque. Pas besoin de développer
en ce qu’il s’agit des opérations de crédit puisqu’il n’y a pas de risque de
confusion dans ce cas. L’idée à retenir est donc que les réserves ne quittent
pas le circuit de par le comportement des banques[1].
Les seuls agents pouvant influencer le niveau des réserves bancaires sont les agents non bancaires et la banque centrale[2]
Partons d’exemples concrets pour expliquer comment les réserves
bancaires varient. Si les agents économiques non bancaires augmentent leur
demande de billets (à l’occasion des fêtes de fin d’année par exemple), alors
les réserves diminueront. En effet la banque devra « acheter » des
billets à la banque centrale, le compte courant de la banque va être débité en
échange de ces billets. De même quand un agent se doit de payer le trésor
public (qui a en général son compte à la banque centrale), l’opération va se
traduire par un transfert du compte de la banque de l’agent considéré au compte
du Trésor, soit en réalité un débit du compte courant de la banque pour
créditer le compte courant du Trésor à la banque centrale. Ces facteurs sont
souvent dénommés par « facteurs
autonomes » dans la mesure où ils ne résultent pas du comportement de
la banque centrale. Les réserves des banques peuvent également diminuer ou
augmenter du fait de « facteurs
institutionnels » qui résultent eux du comportement de la banque
centrale. La banque centrale détient le monopole sur l’émission de base
monétaire : elle peut à tout moment (toute chose égale par ailleurs en
circonstances normales) retirer ou ajouter de la liquidité. Si elle veut
retirer de la liquidité, elle peut vendre aux banques des titres qu’elle
détient[3],
si elle veut en ajouter, elle en achète ou fait des opérations de prise en
pension (pour de la liquidité temporaire). Dans tous les cas la décision
d’accorder ou de retirer de la liquidité provient de la banque centrale. On le
voit actuellement en zone euro dans la mesure où les mouvements importants
sur le compte « réserves » de la BCE proviennent des actions
entreprises par la banque centrale, à savoir principalement de l’opération de
refinancement de long terme (LTRO).
On peut parfois voir des articles stipulant directement ou
indirectement que le montant important sur le compte « réserves » de
la banque centrale témoigne d’une préférence des banques pour les
liquidités (sous-entendu qu’un comportement différent des banques changerait ce
montant), ou encore que les banques choisiraient entre stocker des
réserves et faire du crédit, l’augmentation des réserves signifiant qu’elles ne
font pas de crédit[4].
Ou encore, sous une autre forme, que le niveau excessif des réserves
excédentaires signifierait que les banques ne prêtent pas. Les explications
énoncées ci-dessus permettent de comprendre que ces affirmations sont erronées
puisqu’elles proviennent de confusions à propos du concept de liquidités
bancaires.
Il
n’y a pas de corrélation immédiate entre le niveau de réserves des banques et
le niveau des prêts dans l’économie : les banques ne « prêtent »
pas des réserves
Comme nous l’avons dit précédemment, les réserves des banques
constituent un circuit fermé. Lorsqu’une banque fait un crédit, elle va créer
de la monnaie dans le sens où elle va schématiquement créer un dépôt qui
n’existait pas auparavant. Supposons que la banque A accorde un crédit de 100 à
Mr Durant. Elle va créditer de 100 le compte de Mr Durant chez elle et créer un
poste « créance sur Mr Durant » à son actif. Elle n’a donc pas
prêté des réserves à Mr Durant, elle a simplement créé une créance a son actif
et de la monnaie à son passif. Le niveau de réserves n’a pas bougé, seule la
répartition a quelque peu bougée si l’on suppose l’existence de réserves
obligatoires (ce qu’on négligera par la suite[5]).
On voit à travers cet exemple bien qu’un même niveau de réserves peut
correspondre à plusieurs niveaux de crédits dans l’économie : les banques ne « prêtent » pas
des réserves.
Certes, il serait incorrect de dire que la quantité de crédit est
totalement indépendante du niveau de réserves. La banque A pourrait refaire
cette même opération plusieurs fois, avec pour seule contrainte de se préparer
à des « fuites » hors de son circuit interne : elle devra
potentiellement garder une quantité de réserves au cas où Mr Durant
effectuerait des transactions avec des clients de la banque B et au cas où il
demanderait des billets. Dans le premier cas, elle devra en effet payer la
banque B avec une monnaie communément acceptée, à savoir la monnaie banque
centrale (donc des réserves comme expliqué précédemment). Pour cela soit elle
décide de garder un niveau minimum de réserves pour satisfaire cette exigence,
soit elle emprunte auprès d’autres banques ou auprès de la banque centrale une
fois l’exigence matérialisée[6].
On voit bien ici que si la banque centrale prévoit une fuite de 10% du crédit
et ne veut pas emprunter la quantité de monnaie en question quand les exigences
se matérialiseront elle accordera des crédits pour un montant maximum de 10
fois ses réserves. C’est donc suivant cette approche le montant maximum de
crédit qui est corrélé avec le niveau des réserves au niveau individuel[7].
Mais si les banques ne suivent pas cette approche la limite ne dépend plus du
niveau des réserves dans la mesure où chaque banque peut toujours obtenir des
réserves soit auprès de ses consœurs ou bien auprès de la banque centrale à la
facilité de prêt marginale ou au guichet de l’escompte (ou sous forme de
découvert sur compte courant) lorsque les réserves du système bancaires ne sont
pas suffisantes (cas extrême). Dans ce dernier cas, on voit bien que le niveau des réserves ne contraint pas la capacité de la banque à faire un crédit,
mais peut altérer la profitabilité de
ses crédits dans le cas où la banque devrait aller au guichet de la banque
centrale. Le point principal demeure : il n’y a pas de corrélation
immédiate entre le niveau des réserves et le niveau du crédit, quand le crédit repart, les réserves ne
« partent » pas de la banque centrale mais restent bien au même
niveau.
Lorsque
les banques « utilisent » les réserves excédentaires, cela ne veut
pas dire que les réserves diminuent, cela signifie qu’elles conduisent à
l’augmentation de la masse monétaire
Les politiques d’assouplissement quantitatif menées actuellement ont
beaucoup augmenté le niveau des réserves dans le système bancaire. Beaucoup
d’économistes plaident pour que les banques « utilisent » ces
réserves, et le sens de cette tournure est parfois mal compris. Ce principe est
simple à comprendre après ce que nous avons expliqué précédemment. Les réserves
des banques ne peuvent pas diminuer de par leur comportement, en revanche ce
qu’on attend d’elles est qu’elles « utilisent » ces réserves en
augmentant le crédit ou leurs achats de titres aux entreprises ou aux ménages.
Dans le premier cas, on l’a dit plus tôt, la quantité maximale de crédit
potentielle a augmenté de par l’augmentation des réserves : les banques ne
peuvent plus rechigner à augmenter le crédit de par des craintes de
« fuites » et donc par un manque de liquidité potentiel. Dans le cas
d’achats d’actifs, cela se traduira par une augmentation de la masse monétaire
si les banques achètent des actifs aux ménages ou aux entreprises (qui vont
donc augmenter leurs dépôts). C’est donc une augmentation de la demande de
monnaie dans ce dernier cas, qui aura des pressions inflationnistes, en premier
lieu sur les actifs. C’est d’ailleurs
seulement à partir du moment où la base monétaire « passe » dans la
masse monétaire que les pressions inflationnistes apparaissent. Le but de
cet article n’est pas de commenter l’impact économique, mais simplement de
souligner que lorsque les banques « utilisent » leurs réserves cela
ne veut pas dire que ces dernières diminuent. L’élément important à surveiller
est donc la variation de la masse monétaire suite à la variation de la base
monétaire : si la dernière est « passée » dans la première,
alors on peut en déduire quelque chose sur le comportement des banques[8].
Les
banques commerciales ne financent pas les achats d’actifs de la banque centrale
via leurs réserves : il ne faut pas confondre la poule et l’œuf
Cette confusion provient d’un article troublant que j’ai pu lire sur
le blog du Monde.fr « La BCE se finance auprès des banques, qu’elles le
veuillent ou non ». L’auteur de ce post, pourtant PDG d’une banque
d’affaires à New York, indiquait dans son billet que la BCE finançait
« l’essentiel de ses crédits aux institutions financières par des dépôts
bancaires ». Il s’appuie pour cela sur un paradigme alléchant, s’appuyant
sur le fait que lorsque les réserves des banques augmentent, les crédits aux
banques augmentent dans le même temps. L’auteur va même jusqu’à soutenir que
les banques des pays riches, qui ont beaucoup de liquidités, financent les
banques des pays pauvres indirectement via le compte « réserves » de
la BCE et ses activités de prêts aux banques. Ce raisonnement peut conduire à
une confusion totale lorsqu’on lit « un accroissement des besoins de la
BCE sous la forme d’achats d’obligations italiennes ou espagnoles pose la
question de son financement : compte-t-elle le faire partiellement sous
forme de réserves minimum ? ». L’auteur de cet article, comme les lecteurs
qui n’ont pas relevé cette erreur, n’ont vraisemblablement pas bien intégré qui
était la poule et qui était l’œuf dans le système monétaire. La banque centrale
ne se finance pas par les banques puisque l’argent qui est à son actif dans la
ligne « réserves » a déjà un actif qui lui correspond. Autrement dit,
lorsque le compte réserves des banques augmente, c’est parce que la banque
centrale a émis cette monnaie banque centrale : soit en achetant un titre
aux banques, soit en faisant une prise en pension, via du repo ou via une
opération de refinancement. Elle a créé de la monnaie banque centrale en
créditant simplement le compte de la banque considérée (création monétaire
« électronique »). La causalité va forcément dans ce sens, puisque,
comme nous l’avons expliqué tout à l’heure, la banque centrale détient le
monopole de l’émission de la base monétaire.
En quelque sorte la banque centrale est la poule, et le compte
« réserves » des banques est l’œuf, il n’a pas de sens de dire
que les réserves financent les achats d’actifs de la banque centrale[9].
[1]
Sauf bien sûr si les banques décident de détenir des billets à la place de la
monnaie scripturale, fait que l’on ne rencontre pas en général (les billets ont
un coût de détention –coût de sécurisation et de stockage notamment- supérieur
au coût de tenue de compte à la banque centrale) ou lorsque celles-ci décident
d’emprunter à la facilité de prêt marginale (en général les montants y sont
négligeables)
[2]
A l’exception près citée dans la note de bas de page précédente
[3]
Il y a bien sûr d’autres possibilités : faire du reverse repo, taxer les
compte courants (équivalent à mettre un taux d’intérêt négatif) ou proposer des
dépôts à terme aux banques
[4]
Certains objecteront que l’augmentation des réserves excédentaires (et non pas
les réserves dans leur ensemble) conduit à cette conclusion. Ce n’est pas ce
que je souhaite originellement souligner ici. Cependant, en zone euro, le taux
de réserves obligatoire étant relativement faible, une augmentation des crédits
ne ferait pas diminuer significativement le montant des réserves excédentaires
de sorte que cette conclusion pourrait s’appliquer, certes avec une petite
nuance.
[5]
Dans certains pays comme le Canada ou l’Angleterre les banques n’ont pas
d’exigences de réserves obligatoires comme en Europe
[6]
D’un point de vue théorique, elle pourrait aussi vendre des actifs, vendre des
prêts (le « loan sale » plus répandu aux Etats-Unis), faire de la
titrisation ou encore réduire ses prêts (ne pas renouveler des prêts à court
terme par exemple). Ces actions sont néanmoins généralement plus coûteuses que
l’emprunt interbancaire.
[7]
On peut éventuellement croire à la théorie du multiplicateur du crédit sur le
long terme mais ceci est un autre débat
[8]
Implicitement on suppose ici une approche exogène de la monnaie mais cela ne
biaise pas le raisonnement
[9]
Ajoutons que si les titres achetés arrivent à maturité, la base monétaire
correspondante sera simplement détruite, dans le sens où la société qui
remboursera le nominal de l’obligation paiera avec son compte courant (dépôt
bancaire), ce qui se traduira par un paiement équivalent de la banque envers la
banque centrale avec la seule monnaie que la banque centrale accepte, à savoir
la monnaie banque centrale. La banque centrale va donc au final débiter le
compte courant de la banque correspondante, ce qui se traduira par une baisse
les liquidités bancaires
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