14 oct. 2008

L’intervention publique entre allocation, stabilisation et redistribution

Si l’analyse économique ne manque pas d’approches justifiant telles mesures ou telles réformes, il n’en reste pas moins que chacune d’entre elles ne sont pas toutes efficaces et encore moins efficientes. Aussi, la politique économique ne nécessite pas seulement des instruments, des institutions et des objectifs mais surtout des arbitrages face à des objectifs souvent contradictoires.

En 1989, Richard Musgrave propose trois critères de l’intervention publique. Le premier est l’allocation des ressources comme mesure visant à accroître l’économie potentielle par des politiques d’offre. L’intervention publique consiste dès lors à augmenter la quantité des facteurs productifs ou à prendre en charge certaines activités productrices de biens publics. La seconde fonction est celle de stabilisation macroéconomique visant à stimuler la production effective pour la rapprocher de son niveau de production potentielle. Les politiques de demande, notamment celles keynésiennes en matière de politique budgétaire et monétaire illustre cette fonction. Enfin, la fonction de redistribution vise à une répartition des richesses et se fonde le plus souvent sur des choix d’économie politique soit de contraintes et de processus de décisions politiques dans des régimes démocratiques. En cela certains problèmes intergénérationnels ou d’équité amènent de vives critiques comme dans les politiques de taxation ou de transferts sociaux.

La justification de l’interventionnisme va plus loin. L’économie néoclassique a postulé un cadre d’analyse des marchés fondés sur une concurrence pure et parfaite. En outre ce concept renvoie à trois hypothèses mis en avant par Debreu et Arrow : un fonctionnement concurrentiel de l’économie, un ensemble complet de marché et une information parfaite. Dès lors qu’une des hypothèses est transgressée, le théorème du bien être n’est plus valable : l’intervention publique devient nécessaire dans ce cadre d’analyse.

Mais le problème se complexifie quelque peu dès lors que sont comparés les trois fonctions de Musgrave. Si l’allocation des ressources fait davantage référence à une politique de long temre optimisant une tendance de croissance économique, celle de régulation touche davantage au court terme et tend à réduire le « output gap » soit à minimiser l’écart entre la production effective et celle potentielle. Il convient dès lors d’énumérer les justifications pour chacun de ses éléments.

La fonction d’allocation des ressources est justifiée par la transgression d’une des hypothèses du cadre microéconomique néoclassique. Une concurrence imparfaite, sauf dans le cas d’un monopole naturel, nécessite le recours à une politique de la concurrence. Les externalités, soit un coût privé inférieur au coût social et n’étant pas pris en compte dans les échanges et les marchés incite à envisager des politiques environnementales ou fiscales pour inciter les entreprises à réduire la pollution d’origine industrielle. L’asymétrie d’information, comme dans le cas d’une crise financière, peut amener à rationner des crédits et à user de phénomènes d’anti sélection comme des menus de contrats (Laffont, Tirole, 2001).

La fonction de stabilisation trouve sa justification par John Maynard Keynes sous deux aspects. Le premier est d’atténuer les comportements excessivement optimistes des agents économiques qui peuvent se succéder par des comportements trop pessimistes, avec à terme un risque d’instabilité des marchés (…). Le second argument proposé est que les prix ne sont pas toujours flexibles de par certaines rigidités nominales nécessitant des politiques contra-cycliques pour compenser les déséquilibres sur les marchés.

La fonction de redistribution se réfère à un problème déjà posé à savoir l’équité. Plus largement les contraintes de justice sociale peuvent empêcher une politique d’être efficiente au dépend d’une efficacité ne faisant pas l’économie des moyens. Les distorsions fiscales pour exemple restent un problème persistant : s’il faut prélever sur les agents aux revenus les plus élevés pour soutenir l’insertion des agents à bas revenus sur le marché du travail, n’y a t-il pas un risque de ralentir la croissance de l’investissement ? Envisager des politiques d’emploi sur la durée du travail est-il réellement souhaitable si l’on considère que les heures supplémentaires entretiennent le chômage et donc la pression des salaires à la baisse ?

Mais comment mesurer l’impact de chacune de ses fonctions ? Je soutiens l’idée que certains postes à fortes responsabilités dans les domaines économiques doivent uniquement être occupés par des économistes au sens strict. J’entends ainsi des économistes de formation, au mieux universitaires mais surtout répondant à une logique d’indépendance comme peut l’être la Banque Centrale aujourd’hui. La théorie du Public Choice a bien démontré les contraintes de légitimité, inter temporelle ou de crédibilité qui pèsent sur les politiques (Buchanan 1975, Lucas 1990). Mais le sujet est ici que celui encadrant les mesures économiques doit comprendre de manière la plus exhaustive possible l’impact de ces dernières et plus largement comprendre la probabilité que celles-ci soient validées dans la réalité. D’où la nécessité d’économistes au sens strict, maitrisant les outils microéconomiques, économétriques et mathématiques servant à l’évaluation de celles-ci. Je tiens pour conviction qu’une personne responsable d’un tel processus n’osera pas interpréter les résultats à des fins purement politiques. Voici cinq modèles de simulation de la politique économique. Les premiers sont les modèles macroéconométriques utilisés par la Commission européenne, la BCE ou le FMI, trouvant leurs sources dans les théories keynésiennes et les travaux de Tinbergen et Klein dans les années 50. Le principe est d’agréger différents paramètres pour déduire des équilibres prévisionnels selon les valeurs associées à chaque variable des différentes équations. Les seconds modèles sont ceux statistiques, reposent sur l’empirisme comme les modèles vectoriels autorégressifs et cherchant à identifier les interdépendances entre les variables étudiés. Les troisièmes modèles sont ceux simulant en équilibre partiel et permettant de tester l’efficacité d’allocation de ressources. Mais ce modèle s’impose comme limite dès lors que la politique devient trop complexe. Les modèles d’équilibre général calculable (MEGC) visent ainsi à mieux considérer les différents impacts des politiques en utilisant des modèles calibrées permettant d’estimer les niveaux des différents paramètres une fois les modèles appliquées. Ces derniers sont souvent utilisés dans le cadre de mesures structurelles par la Banque Mondiale ou l’OMC dans le cadre de politique de libéralisation des marchés. Enfin les modèles de microsimulation ciblent certaines parties de la population et permettent l’étude d’impact de politiques fiscales ou sociales. Elles sont ainsi essentiellement utilisées dans le cadre de politiques publiques.

Une autre méthode d’évaluation repose sur une fonction de bien-être soit d’utilité pour un agent représentatif et évaluant les politiques de stabilisation. L’objectif étant d’estimer les coûts des fluctuations et l’arbitrage entre stabilisation et allocation, entre court terme et long terme. Cette méthode est moins applicable au politique de stabilisation du fait que l’utilité n’est pas toujours évaluable d’où le recours à une fonction de perte macroéconomique. Celle-ci tend à se problématiser comme une minimisation des coûts sous contrainte d’une mesure pouvant prendre n possibilités. Par exemple, en cas de baisse de la consommation on évaluera les possibilités de subventions pour les entreprises dont leur demande est fortement élastique à leur prix ou encore la possibilité d’une réduction de telle ou autre taxe pour augmenter le pouvoir d’achat des agents économiques. Enfin, dans le cas de la redistribution il est possible d’utiliser certains indicateurs comme la courbe de Lorenz ou l’indice de concentration de Gini dans le cas de politique sociale liée à l’inégalité.

Mais ces méthodes se ramènent à l’a-priori, à l’ex-ante alors qu’ex-post une autre conséquence est possible : celle qu’une politique d’allocation peut avoir un effet sur une autre politique de stabilisation elle-même ayant caractère à affecter une politique de redistribution. Chaque fonction pouvant ainsi affecter la seconde ou la troisième. Par exemple un hausse des transferts sociaux peut décourager l’incitation au travail (perte allocative) mais peut aussi réduire les inégalités (redistribution) et accroître la consommation des ménages (stabilisation). Si la production potentielle n’est pas optimisée, le output gap se réduit ainsi que les inégalités sociales par effets directs et indirects. D’autres exemples sont envisageables comme la mondialisation souvent dénoncées pour son rôle d’allocation des ressources au dépend d’une redistribution des richesses inégales. Dans un sens inverse à une hausse des transferts sociaux, une baisse de l’impôt sur le revenu induirait une hausse de l’offre de travail (allocation) et de demande de travail (stabilisation) mais accentuerait les inégalités (redistribution).

Ces trois concepts sont d’autant plus difficiles à manier que le décideur public doit ajouter à cet arbitrage les questions d’agrégation, d’horizon temporel et de fonctionnement des marchés entre les différents agents. Si les soutiens au commerce international avancent que l’ouverture des pays au commerce apporte des gains à l’échange, d’autres opposés à la libéralisation argueront qu’une incertitude sur les coûts d’ajustement temporaires persistent ou que les politiques correctrices des effets pervers de la mondialisation annoncé par les premiers n’auront que peu de change d’être concrètement réalisées. Enfin si les néoclassiques raisonnent sur des marchés concurrentiels, il n’en subsiste pas moins des imperfections.

La crise financière actuelle pose autant de problèmes. Faut-il revoir les modalités des régulations de Bâle de manière à minimiser les risques, opter pour une approche plus « éthique » de la finance globalisée ? Qui doit orienter les débats, prendre les décisions et les faire appliquer ? Une phrase, d’Herbert Stein datant de 1986 résume assez bien l’enjeu : « Les économistes ne savent pas grand chose sur l’économie ; mais les autres personnes, y compris les responsables politiques qui font la politique économique, en savent encore moins. ».

3 commentaires:

  1. Oui, d'accord, très bien, c'est remarquable comme article (surtout dans l'explication et la démonstration) mais sur la place des hommes politiques je pense qu'il faut pas confondre indépendance (où personne ne rend des comptes) et autonomie (où on laisse une large marge de manoeuvre aux économistes mais ou chacun est responsable). Exemple: ce cher Trichet: personnellement c'est oui à sa large autonomie mais sur son indépendance stricto sensus ... j'ai des doutes.

    Quant aux hommes politiques qui ont pour les 3/4 un tragique mépris de l'économie... c'est inquiétant parce que c'est cruellement vrai.

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  2. C'est sans doute un commentaire qui montre indirectement une négligence dans certains articles, donc merci..Je vais m'expliquer.

    J'entends par indépendance une autorité non soumises aux contraintes électorales et pouvant ainsi s'affranchir d'une partie des arbitrages. C'est parallèlement une justification de la technocratie, soit de l'application de fonction nécéssitant une forte technique et maitrise du sujet et qui implique dès lors une "autonomie" de ceux "pilotant" l'institution. Autonomie et indépendance sont donc 2 concepts très liés mais à la fois différent, ce pourquoi la problématique posait dans le premier commentaire me semble justifiée.

    Sans pour autant affirmer avoir raison, j'appréhenderais plutôt l'exemple de Trichet dans le sens inverse. Le problème me semblerait être l'autonomie dont il dispose et donc d'une certain aspect subjectif dans les prises de décision. En revanche l'indépendance de l'institution me semble justifiée.

    Cette dernière a permis à la France de s'affranchir de sa contrainte de change, de se concentrer sur sa politique budgétaire mais surtout d'accentuer ses échanges extérieurs principalement avec les pays européens. Je veux dire par là que certes l'indépendance peut être remise en cause mais objectivement et indépendamment des pressions populaires dans certain Etat membre, son apport a permis d'améliorer les conjonctures. Peu de politiques en tiennent compte ou du moins s'en servent sous prétexte que la conjoncture n'est pas bonne.

    Et c'est là où des personnes comme Trichet et Greenspan s'en prennent plein la tête..En Allemagne le commerce extérieur se porte très bien. En France et dans d'autres pays c'est l'inverse: la faute à l'euro? Sûrement pas. Il s'agit juste de faire reposer la responsabilité des politiques macroéconomiques pour éviter d'aborder un problème trop sensible aux cycles électoraux.

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  3. Et pour revenir davantage dans le premier commentaire. L'indépendance de Trichet me semble limitée du fait des acquis communautaires et des réelles contraintes résultants du Traité de Maastricht ou du PSC lui imposant une véritable ligne de conduite. La BCE ce n'est pas Trichet, les décisions ne se font pas sur un seul agent.

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