28 juin 2009

Les mécanismes de rémunération des dirigeants sont-ils efficaces? (1/4)

L'article de Edmans, Gabaix et Landier ("A multiplicative model of optimal CEO incentives in Market Equilibrium") propose un nouveau mode de rémunération pour les dirigeants. Comme dans l'ensemble de la littérature à ce sujet, les auteurs font deux constats. Les dirigeants ne sont incités que par des gains obtenus à partir de la volatilité de valeurs mobilières; ils sont donc indirectement incités à valoriser leur poste sur le court terme et non sur le long terme. De plus si le cours d'une action baisse cela entraîne une baisse de la valeur de leur stock option. Ainsi c'est lorsque son poste sera le premier concerné pour pallier à cette baisse que le dirigeant sera le moins incité. Le processus fonctionne autant en amont qu'en aval. Il faut inciter le dirigeant par un gain potentiel si son activité est gratifiante. Par ailleurs il faut aussi inciter le dirigeant à ne pas se satisfaire d'un gain pouvant le démotiver en l’incitant à prolonger son effort.

Deux concepts sont proposés. Le principe de pourcentage constant est une règle de répartition des gains indiquant que pour 100 euros supplémentaires dont bénéficie le dirigeant, 60% doivent émaner d'actions. Cela s'explique par une étude empirique montrant que pour une hausse de 10% de la valeur de la firme, la hausse de la rémunération du dirigeant doit atteindre 6%. Second concept: le compte d'incitation au cadre. Celui-ci est un mécanisme de rééquilibrage permanent satisfaisant le principe de pourcentage constant, il vise aussi à favoriser un investissement progressif et long-termiste pour pallier à la vision court-termiste du dirigeant. Si par exemple le salaire d’un dirigeant ne se compose que pour 55% d'actions, les 5 points restants seront obtenus en achetant des actions par les espèces constituant 45% du salaire. Le compte d’incitation doit permettre de distribuer un salaire fixe chaque mois auquel s’ajoute des versements progressifs, réguliers et long-termistes de sorte que les impacts à moyen ou long terme devront être considérés dans l’arbitrage du dirigeant, au delà de ses simples satisfactions court termistes. Ainsi si le dirigeant doit quitter l’entreprise il percevra des versements proportionnels à sa performance antérieure. Si celle-ci est mauvaise, la sanction proposée est de verser des actions et non plus des espèces au dirigeant.

Deux avantages aux propositions de l’article de Edmans, Gabaix et Landier. Le mécanisme de concept d’incitation au cadre est moins coûteux que celui de stock option ou de bonus malus. Aussi, les distorsions fiscales sont limitées : les gains reçus ne résultant plus seulement des simples contraintes fiscales. Ces propositions sont d’autant plus d’actualité qu’on passe beaucoup plus de temps à culpabiliser les dirigeants qu’à pallier leurs excès cupides. Une (brève) revue de la littérature à ce sujet nous permettra d’évaluer l’avancée que cet article pourrait avoir dans son domaine de recherche.

Dans une publication de 1990 (Performance Pay and Top-Management Incentives), Murphy et Jensen établissent une corrélation faible entre la rémunération des dirigeants et les performances de la firme. En outre pour 1000 dollars de valeur ajoutée, la rémunération du dirigeant augmente de 3,25 dollars. Ces auteurs cherchent alors à établir un mécanisme permettant une correspondance entre l’intérêt particulier du dirigeant et les intérêts des actionnaires axés sur l’augmentation de la valeur ajoutée. En outre cette relation principal-agent vise à établir les conditions optimales de la délégation d’un pouvoir par un agent (l’actionnaire) sur un autre agent (le dirigeant) ; soit à déterminer les conditions d’une ère managériale. En 1976 Jensen publie déjà sur le sujet, avec Meckling. Ils montrent que cette relation d’agence souffre de divergence d’intérêt, d’un problème d’asymétrie d’information mais aussi d’un coût de surveillance, d’assurance, d’incitation et d’un coût d’opportunité. Le soucis est que ces problèmes sont interdépendants de sorte que la nécessité de surveiller se heurtera à des problèmes de subjectivité (l’actionnaire ne validant que les décisions allant dans son intérêt) et des problèmes d’asymétrie (comment lister chaque action minute par minute du dirigeant sans le harceler).

Il faut donc une politique de rémunération comme mesure indirecte de surveillance. Cette dernière vise à élargir les modes de rémunération : salaire fixe, bonus, révisions de salaire, stock options, malus voire licenciement si mauvaise performance. Pour autant, les licenciements ont été palliés par les parachutes dorés qui ont fait scandale ces derniers mois, les stocks options font place à de forts excès résultants directement d’asymétrie d’information voire d’inefficience des marchés financiers. Le problème devient rapidement complexe mais a l’avantage de transformer le dirigeant en actionnaire puisque le manager verra dans la hausse des cours de bourse une hausse de sa propre rémunération.

Pour autant on se confronte à de nouveaux problèmes. Par exemple si la corrélation entre performance et rémunération devient forte le dirigeant devient « réellement » un actionnaire de part de forts engagements financiers. Dès lors la frontière actionnaire/dirigeant deviendrait rapidement floue. Aussi les actionnaires déléguant la gestion de leur firme, le dirigeant augmenterait en fait sa part en capital social lorsque la firme augmentera sa valeur ajoutée ; de sorte qu’une trop forte corrélation est impossible : elle reviendrait non seulement à déléguer la capacité managériale au profit du dirigeant mais aussi à lui céder indirectement une part de l’entreprise.

On pourrait aussi penser à une rémunération non fondée sur l’aspect monétaire de par le prestige. Mais comme le montre Cataliotti et Claire (2006) le prestige d’une écoute attentive des syndicats ou d’une considération trop exagérée envers le maintien d’un certain nombre d’emploi pourrait finalement nuire à la création de richesse de la firme. Ainsi une rémunération par la reconnaissance sociale n’est pas une solution stable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire