15 mars 2010

Forclusion du marché et monopole

Parmi les restrictions qui réduisent la concurrence un concept important dans l’analyse du contrôle vertical d’une firme est celui de forclusion de marché. Analyser ces situations est nécessaire, notamment pour la politique de la concurrence, mais surtout difficile. La forclusion est une pratique commerciale qui réduit l’accès entre acheteurs et fournisseurs. Une forclusion en amont distingue un accès limité des acheteurs vers des fournisseurs. Inversement une forclusion en aval distingue un accès limité des fournisseurs vers les acheteurs.

Ces pratiques sont multiples. Elles peuvent jouer sur les prix. Ce serait le cas d’une entreprise qui pratiquerait une extorsion par les prix pour désinciter toute nouvelle firme à prolonger son offre concurrentielle. Les pratiques peuvent être aussi quantitatives notamment si une entreprise produit un bien complémentaire à d’autres biens. Dans ce cas précis, une différenciation du produit offert par l’entreprise rendrait incompatible deux biens autrefois complémentaires. Enfin on peut envisager des pratiques contractuelles. Le cas le plus récurrent serait l’exclusivité entre un sous-traitant et une firme, ce qui conduit le plus souvent à une intégration.

Tirole et Rey distinguent deux situations : celle où l’un des acteurs (fournisseur, acheteur) détient initialement un monopole et celle où aucun des deux secteurs n’est monopolisé. Considérons le premier cas.

Une firme qui détient un monopole doit rendre le plus efficace possible son processus de production pour maximiser au mieux son profit et donc profiter de l’absence concurrentielle de son secteur d’activité. On pourrait penser qu’un marché concurrentiel chez les fournisseurs serait préférable à la firme. Ce n’est pas faux si l’on s’appuie uniquement sur les incitations : la concurrence favorise la compétitivité et donc des sous-traitants moins coûteux. En revanche, de par un équilibre général, on peut rapidement déduire que la duplication des coûts d’installations (ou fixes) contredit les seuls avantages incitatifs. C’est pourquoi négocier avec un seul fournisseur est la meilleure solution. La forclusion du marché est en amont : la firme réalise des pratiques commerciales qui augmentent la monopolisation du secteur des fournisseurs.

D’autre part on peut évoquer le cas d’une entreprise qui discrimine par les prix, c’est-à-dire qui limite l’accès des acheteurs (les autres entreprises) à ses services. Par exemple une firme offre un bien intermédiaire disponible sur 2 marchés composés de fournisseurs. Le premier marché est faiblement élastique (réagit peu aux variations de prix) et le second est fortement élastique. La firme est alors incitée à s’intégrer sur le marché fortement élastique. L’intégration du fournisseur dans la firme permet alors au premier de proposer des prix internes à un niveau beaucoup plus faible que les prix externes qu’il propose aux firmes concurrentes. L’extorsion par les prix vise alors à exclure du marché à forte élasticité les entreprises concurrentes et donc à accroître la monopolisation du secteur. Joskow montre que cette situation est similaire à une extorsion par les prix et s’est déjà illustrée dans le cas des centrales électriques privées américaines (Mixing Regulatory and Antitrust Policies in the Electric Power Industry - 1985).

Enfin on peut relever le cas d’une entreprise qui détient un monopole et rend incompatible des produits à l’origine complémentaires. De manière plus claire si une entreprise détient le monopole sur le marché du bien A (complémentaire au bien B) et qu’elle offre aussi dans un même temps le bien B dans un marché concurrentiel alors rendre le bien A incompatible avec les biens de type B produits par les autres firmes concurrentes lui permet d’obtenir un double monopole sur ces deux produits. Par exemple Ordover et Willig (1981) montrent que IBM a tenté cette stratégie.

Ces pratiques sont possibles si au moins un des deux acteurs (acheteurs, fournisseurs) détient un monopole. Nous verrons mercredi ce qu’il en est si les deux secteurs sont oligopolistiques.

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