24 mars 2010

L'effet "étoile de mer" d'Airbus


Airbus et Boeing ont fait l’objet de nombreux modèles en économie internationale comme en économie industrielle. L’objectif de ces travaux est d’analyser les variations des surplus des différents agents et conclure sur le bienfait global de la mise en concurrence des deux constructeurs aéronautiques. BALDWIN et KRUGMAN (1988) proposent une analyse statique du marché aéronautique. Ils comparent ainsi la situation du marché avec et sans la compagnie européenne pour conclure que l’impact de l’entrée d’Airbus sur les prix était positif pour les consommateurs (hausse de leur surplus). En revanche ils ont aussi obtenu des impacts négatifs pour les contribuables européens (de nombreuses discussions persistent pour savoir si la baisse du prix du ticket a compensé ou non la perte de surplus due aux subventions européennes pour Airbus) et sur l'activité de Boeing. En particulier il s’agissait de montrer que les réductions du coût marginal de production de la compagnie américaine obtenues par des effets d’apprentissage étaient finalement plus que compensées par la mise en concurrence avec Airbus. KEPPLER confirme d’ailleurs ces intuitions dans un papier publié en 1990 et qui propose une triple étude sur trois segments du marché aéronautiques (petits, moyens et gros porteurs/courriers). Keppler montre notamment que les subventions perçues par Airbus peuvent s’interpréter comme un transfert des effets d’apprentissage de Boeing vers le constructeur européen.

En 1995 Neven et Seabright propose un modèle qui dépasse le duopole de Krugman, Baldwin et Keppler en considérant un troisième constructeur : Mac Donnell Douglas. Leurs travaux sont plus complexes car ils cherchent à évaluer l’impact de l’entrée d’Airbus dans un duopole Boeing-Mac Donnell Douglas et les implications en termes d’innovations et de nouveaux produits. C’est donc une démarche qualitative comme quantitative où les produits ne sont plus des variables « exogènes » au modèle.

Cette recherche met en évidence l’imparfaite substituabilité des avions entre petits, moyens et gros porteurs et les économies d’échelle réalisées par chaque firme. C’est un modèle statique, séquentiel sur une période de 40 ans. Les compagnies font évoluer ou non leur prix à chaque nouvelle période (pas de raisonnement dynamique où il y aurait des ajustements en continue).

Les conclusions du modèle sont multiples. D’abord une situation de monopole où seul Boeing détiendrait les parts de marché maintiendrait les prix à un niveau supérieur à 15% à ceux constatés en situation de duopole. Donc les consommateurs sont gagnants : leur surplus augmente par la pression concurrentielle de nouvelles compagnies aériennes.
Ensuite, il est préférable de retrouver une situation de duopole Airbus-Boeing que Boeing-Mac Donnell Douglas. En outre, l’entrée d’Airbus a eu un impact plus significatif sur la baisse des prix pour les consommateurs que l’entrée de Mac Donnell Douglas quelques années plus tôt. De plus l’impact global sur le bien-être des agents de l’entrée d’Airbus est négatif mais l’impact sur le bien-être des européens est positif.
Du point de vue des incitations, la pression concurrentielle d’Airbus a affaiblit les incitations à la Recherche et au Développement (R&D). L’effort d’innovation a donc diminué.

Mais le point le plus remarquable du travail de Neven et Seabright est d’avoir mis en évidence dans cette situation l’effet « étoile de mer». La plupart des modèles considèrent que Boeing et MacDonnell Douglas sont des concurrents symétriques de sorte que chaque entreprise réagit de la même manière. En fait dans notre cas les deux compagnies américaines réagissent différemment (impact asymétrique de l’entrée d’Airbus) à cause des économies d’échelle et des économies d’envergure (transfert des processus productifs sur plusieurs segments de marché comme les petits, moyens ou gros courriers/porteurs). Pour être plus explicite, l’entrée d’Airbus a réduit les parts de marché de Boeing et MacDonnell Douglas et donc leur taux de profit. En particulier, le coût de production marginal de Boeing a diminué (ou du moins ses efforts par l’apprentissage ont été inhibés par l’entrée du consortium européen sur le marché). Cette hausse des coûts a notamment pesé sur les moyens porteurs et longs courriers ce qui a permis à MacDonnell Douglas de se spécialiser sur ce segment de marché et donc rendre plus soutenable sa position sur le marché. Il y a donc non seulement un effet concurrence, comme l’analyse économique traditionnelle l’admet généralement, mais aussi un effet coût aux impacts asymétriques selon les caractéristiques de chaque compagnie.
A.J.
Bibliographie:
"European Industrial Policy: the Airbus case" (Damien Neven, Paul Seabright), Economic
Policy, no.21, 1995

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