12 mai 2010

Dette bleue et dettes rouges, une fausse solution?

Le papier publié par l’Institut Bruegel et écrit par Jacques Delpla et Jakob von Weizäcker porte à débat. Ce dernier suggère la mise en place juridique d’un partage de la dette publique de chaque pays entre dette bleue (à hauteur des premiers 60% du PIB) et dette rouge (au delà des 60%). La dette bleue serait la somme des 60% de PIB de tous les pays participants et serait vecteur de confiance au moyen d’une clause juridique de responsabilité solidaire où chaque participant garantirait la dette des autres membres. La dette rouge serait alors nationale au sens où chaque participant en serait responsable sans impliquer les autres pays.

L’objectif serait de concurrencer la dette américaine (même niveau de dette de l’ordre de 6000 milliards d’euros), obtenir des taux sur les obligations plus bas que ceux actuellement obtenus par les participants (notamment l’Allemagne à 0,3%) et assurer une stabilité de la zone euro en favorisant la soutenabilité de ses membres. Ce qui éviterait par exemple à la Grèce de devoir supporter des taux proche des 30% sur l’ensemble de sa dette publique.

La suggestion est innovante, il faut l’admettre. En revanche il est possible de distinguer plusieurs problèmes qui peuvent s’opposer à sa mise en place.

La mise en place d’un fond commun au moyen d’une dette bleu va permettre d’émettre des des obligations au titre de l’UE. Les règles pour obtenir la garantie des participants impliquent que les remboursements seront assurés par un ensemble de pays disposant d’une soutenabilité budgétaire forte comme l’Allemagne. Le rendement des obligations sera alors plus faible car l’assurance d’être remboursé sera très forte et encouragera les investisseurs. En revanche si un pays est mal en point, 60% de sa dette publique sera confondue avec celle de l’Allemagne. En principe le problème ne doit pas se poser. Cependant, de par l’effet d’apprentissage issu des critères d’adhésion à l’UE (effet dont les conséquences se sont concrètement révélés avec le cas grec), on peut très bien imaginer qu’un pays qui ne peut pas répondre pleinement aux engagements soit quand même intégré. Il existe au final un risque qui repose sur une information opaque de la réelle exposition au risque d’un tel système à l’échelle européenne.

On peut aussi s’interroger sur la qualité des critères retenus, mieux sur leur fondement. La proposition suppose en effet que le niveau de la dette publique en pourcentage du PIB est crédible et repose sur des fondements économiques. Ce qui n’est pas le cas puisque la barre des 60% se fonde essentiellement sur une réalité politique établie durant les années 90. De plus, si la soutenabilité d’un pays peut-être renforcé par ce mécanisme il n’en demeure pas moins que le contenu de cet endettement ne sera pas pour autant mieux établi. Aujourd’hui, l’Italie a un très fort pourcentage dans son PIB de la dette publique (110-120%) pour autant sa soutenabilité budgétaire est suffisante pour ne pas connaître une nouvelle crise grecque.

Enfin un dernier problème, mais non le moindre, repose sur des fondements institutionnels. Qui doit mettre en place ce fond public ? Doit-on créer une nouvelle Autorité Administrative Indépendante ? Lorsqu’on le constate le problème récurrent des politiques à accepter l’indépendance de la BCE on peut s’interroger sur sa capacité à concéder de nouvelles marges de manœuvre, cette fois-ci budgétaire. Aussi, vouloir établir une règle constitutionnelle proche du modèle Allemand est une proposition réaliste mais qui nécessitera une homogénéisation difficile à accepter. La crise grecque a mis en avant la contradiction du système de la zone euro, c’est-à-dire la mise en place d’une autorité monétaire indépendante au dépend de la souveraineté monétaire de chaque Etat et ce, sans que ces derniers n’abandonnent leur souveraineté budgétaire. La BCE fait un travail remarquable, notamment en période de crise où des décisions discrétionnaires doivent être prises. En revanche la zone euro ne dispose d’aucun outil pour assurer la soutenabilité budgétaire de ses membres mais dispose seulement de règles interdisant la solidarité budgétaire entre membres (problème contourné ces derniers jours).

Plus largement les solutions suggérées par Jacques Delpla et Jakob von Weizäcker répondent aux besoins du cas grec aujourd’hui. Il est vrai qu’une telle disposition faciliterait l’émission d’obligation à des taux facilitent l’accès à une soutenabilité correcte des finances publiques grecques Mais ces propositions ne corrigeront en rien les problèmes d’insolvabilité des pays. Les critères de Maastricht ont fait l’objet de nombreuses transgressions par de nombreux pays comme la France alors qu’aucune sanction n’a été apportée. L’enjeu du moment ne serait-il pas plutôt à la mise en place de mécanismes incitatifs plutôt qu’à de nouveau critères fondés sur ceux de Maastricht ? N’avons-nous pas intérêt à privilégier une modification des conditions d’accès comme d’exclusion de la zone euro ?

Au-delà des simples impératifs économiques, nous considérons bien ici l’enjeu lié à la responsabilité des autorités vis-à-vis des populations qui subissent ces problèmes de finance publique. L’Europe ne doit pas faire payer aux grecs l’insouciance de leur gouvernement. En revanche si les critères de Maastricht ont permis un développement favorable de la zone monétaire européenne pendant une dizaine d’années, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui ces critères desservent l’UE. Il devient nécessaire de revoir les modalités et les conditions d’application de notre zone monétaire. Plus de membres impliquent plus de discussions et de coordination. Les prochaines réformes ne doivent pas s’appuyer sur des critères inadaptés aux conjonctures économiques de 2010.

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