Le problème de l'immigration est un sujet sensible et difficile à mettre en perspective. La difficulté est d'abord politique: comment expliquer à l'électeur médian qu'une immigration facilitée est dans son propre intérêt? Sur fond de crise du marché du travail et de vulnérabilité de l'emploi, un tel discours devient rapidement difficile à mettre en oeuvre. Car le problème de l'immigration est avant tout social. Si l'on s'accorde sur le bien-être individuel du migrant, la satisfaction du natif porte à débat. Du point de vue général, on peut rapidement s'interroger sur le surplus apporté par une politique d'immigration. On évoque souvent les situations de brain drain voire les cas de double dividende où un immigrant transfert une capacité intellectuelle ou financière acquise à l'étranger. Une telle perspective globale est nécessaire pour mener des politiques coordonnées entre les pays. La réussite de telle réflexion est essentielle. Nécessaire pour la durabilité de politiques qui se doivent être structurelles. Nécessaire pour s'accorder aux politiques d'aide au développement.
Une question récurrente doit cependant être traitée: est-ce qu'une offre de travail supplémentaire (un immigrant), qui résulterait d'une facilité à l'immigration, pénalise l'offre de travail déjà en place (les natifs)? La réponse dépend de deux conditions: la quantité d'immigrés supplémentaires et la dotation en facteur de production des deux parties.
Le principe initial est que l'offre de travail est rémunérée à sa productivité marginale dans une économie de marché concurrentielle. En supposant que les natifs disposent de dotations en capital et travail et que les immigrés ne disposent que de dotations factorielles en travail on peut étudier deux situations. Cette étude s'accompagne d'une seconde hypothèse: les productivités moyennes restent constantes et ce quelque soit la quantité d'immigrés supplémentaires. Le premier cas est celui d'un faible afflux d'immigrés. Dans cette situation, les natifs conservent leurs rémunérations tandis que les immigrés sont rémunérés à leur productivité. En revanche, et c'est le second cas, si l'afflux d'immigrés devient important alors les différences de dotations en facteur de production vont pénaliser les immigrés qui toucheront un salaire plus faible (abondance de facteur travail) et tendront à augmenter le salaire des natifs qui disposent de dotations en capital qui se raréfient en raison de l'abondance relative des facteurs productifs.
Une première conclusion partielle est donc qu'une forte augmentation de l'immigration augmente le bien-être (mesuré par la richesse) des natifs mais diminue celui des immigrés, sous condition de dotations en facteurs différentes. Une seconde conclusion, surprenante, est que l'immigration instaure une inégalité dans la distribution des richesses mais pas dans le sens généralement supposé dans les débats publics.
L'enjeu dans notre petite histoire est que l'immigration augmente le revenu du capital, un facteur complémentaire aux dotations factorielles de l'immigration, et diminue dans une proportion moindre le revenu du travail, facteur substituable à l'immigration. Ainsi d'un point de vue statique, le bien-être général augmente.
On peut prolonger l'analyse au moyen d'une analyse dynamique. L'augmentation de la rémunération du capital attire de nouveaux capitaux étrangers ce qui favorise l'investissement et donc l'augmentation de la demande de travail. Ainsi l'abondance relative du facteur travail augmente le revenu du capital qui à son tour stimule une augmentation du facteur travail. On peut alors montrer que l'afflux d'immigrants instaure un déséquilibre partiel sous hypothèse d'une mobilité parfaite des facteurs productifs.
On sait que la productivité marginale du travail est égal au ratio capital/travail et que les rendements d'échelle sont constants. Par exemple si on dispose d'un ratio de 4/8, un afflux d'immigrés augmente le rendement du capital à 6 et diminue celui du travail à 6, on passe alors d'un ratio de 0,5 à 1. L'afflux de capitaux diminue le rendement du capital à 4, on retombe sur l'équilibre initial avec un ratio égal à 0,5. Dans le cas d'une mobilité imparfaite des facteurs productifs, ce déséquilibre peut ne pas se corriger et devenir permanent. C'est pourquoi l'immigration nécessite l'étude d'une multitude de facteur et surtout d'une adaptation de la politique économique en fonction de contexte souvent différent d'un pays à l'autre.
Ces quelques cas d'étude montrent qu'effectivement l'afflux d'immigrés peut engendrer des déséquilibres économiques mais pas forcement sur les natifs comme beaucoup le le pensent. Ces analyses restent sommaires et peuvent rapidement se complexifier. En outre, certains mécanismes permettent de compenser les perdants de telles politiques d'immigration; ce dont il sera question dans un prochain billet.
Dans tous les cas, et seul un ami comprendra, il n'est pas toujours légitime de se méfier des jazzmen d'Harlem.
Outre la coquille "le le" notée dans le dernier paragraphe, peut être en ai-je oublié une ou deux, on peut se demander sur quoi s'appuie l'analyse proposée.
RépondreSupprimerL'argumentaire semble reposer sur des raisonnements proches des modèles d'économie internationale : Stolper Samuelson, Rybzinski, Ricardo, Smith ...
Cependant, on peut déplorer la non prise en compte du fait que pour certains natifs (parfois d'ailleurs pas si natif que ça si l'on regarde de plus près) ou pour certaines régions l'arrivée d'immigrés est perçue comme un désastre.
Je pense notamment à des foyers ouvriers, aux villes minières ou agricoles où l'arrivée d'immigrés sape tout espoir de s'en sortir.
Disons que du point de vue macroéconomique, si les hypothèses auxiliaires au raisonnement sont vérifiées sur le terrain, alors les conclusions restent valables. D'un point de vue microéconomique ou local, cette arrivée peut être perçu comme une double peine : non seulement on est pauvre, mais en plus notre travail est déprécié par l'arrivée d'autres bonshommes.
Il est vrai que cela apparaît dans l'argumentaire. Un plan en pour et contre aurait permis de voir un déséquilibre et de renforcer l'autre partie du débat.
Est-ce que dans les analyses mobilisées il est question d'un salaire minimum? L'existence d'un tel élément pourrait accroître pour les natifs et les immigrés les moins bien dotés en capital la période de chômage et si le modèle le permet la perte de leur capital humain ... Suivant le modèle dynamique retenu, il se pourrait qu'il y ait un jeu de domino et que chaque entrée dans le marché du travail (d'un immigré ou d'un jeune) entraîne une baisse du capital humain.
Sous chaque hypothèse sous-jacente à la construction du modèle, il y a une opinion politique ou non.