19 juil. 2008

Fiscalité correctrice et taxe pigouvienne

Que ce soit par l’incidence fiscale, l’étude des distorsions des taxations ou l’optimalité de telles politiques on peut être amené à négliger un dernier aspect de cette notion : sa capacité à corriger les imperfections du marché et à tenir compte des externalités. L’originalité de l’approche est de considérer la fiscalité non comme un moyen de financement mais comme un instrument économique qui vise à inciter et réglementer les interactions entre agents économiques.
L’idée fondatrice est d’imposer des taxes créatrices de distorsions puisque modifiant les prix relatifs entre les biens et services. La fiscalité n’est pas neutre et la politique qui s’y rattache a une fonction d’allocation. Aussi faut-il ramener le coût privé d’une production à son coût social dont les effets concernent l’ensemble des agents de l’économie ce qui tend à faire diminuer la production et augmenter les prix. Arthur Pigou en 1920 souhaite corriger les externalités causées par les émissions des cheminées anglaises. Aujourd’hui, l’application porte davantage sur les émissions de dioxyde de carbone émises par les industries.
Quatre problématiques s’imposent : qui doit être taxer ? A quel moment taxer ? Quand réglementer ? Comment gérer les sommes fournies par les agents taxés ? La première problématique est extrêmement vaste et les prochains articles sauront mieux y répondre. On se contentera très rapidement de considérer, par exemple, que si l’élasticité de la demande de biens de consommation à l’offre est rigide, il faudra faire supporter le coût de la fiscalité à la demande. Les deux autres problématiques trouveront des réponses précises dans cet article.
La mise en œuvre de taxes dites « pigouviennes » relèvent de deux analyses : le degré de réaction des agents aux coûts de la fiscalité et l’évaluation des coûts sociaux des externalités. Si l’incertitude concernant ces deux paramètres sont nulles, dans ce cas les conséquences d’une politique fiscale pigouvienne seront connus quantitativement à l’avance. Si l’incertitude concernant ces paramètres persistent, deux autres solutions deviennent possibles : la réglementation et, dans le cas d’externalités liées à la pollution, les permis d’émission négociables.
La réglementation fixe des règles imposées aux agents économiques. Leurs réactions seront donc déterminées à l’avance, en revanche le coût social est incertain. Aussi la troisième solution vient renforcer la seconde. Les permis d’émission négociables permettent ainsi de fixer la quantité d’émission selon le nombre accordé et permettent de limiter le coût des réductions d’émissions dans les entreprises. En outre, ces permis permettent de s’affranchir des mesures réglementaires en introduisant le marché des droits à polluer. L’avantage est double. D’une part une partie de l’information, par exemple lié aux capacités productives des entreprises, est révélée via les prix de marché, d’autre part les négociations trouvent toujours un débouché comme le montre le théorème de Coase datant de 1966. Celui-ci montre qu’un accord entre deux parties est toujours possible du moment que ceux subissant les externalités sont dédommagés. En l’occurrence Ronald Coase cite les lois anti-fumeurs. Si elles sont établies dans un pays, les fumeurs devront indemniser les non-fumeurs. Si aucune loi n’existe, les fumeurs ne doivent rien alors que les non-fumeurs devront payer pour obtenir des espaces réservés interdisant l’accès aux consommateurs de tabac. Sur le marché des droits à polluer, les droits de propriétés résultent de l’allocation des droits antérieurement déterminés. C’est une particularité qui relève davantage de la flexibilité du marché.
On en vient à la quatrième et dernière problématique. Les sommes collectées peuvent être utilisées de trois manières. Soit on les reverse aux entreprises elles-mêmes ce qui les incitent à long terme à tendre vers un développement durable : celles-ci subissent une pression fiscale ex-ante avant d’être indemniser selon la production constatées ex-post ; le prélèvement décalé temporellement permettant alors de réduire le coût social des externalités. Une seconde solution est d’utiliser les sommes pour réduire des taxes modifiant dans des proportions plus importantes les prix relatifs entre les biens : c’est le double dividende. Enfin, on peut utiliser les fruits de cette taxe pour produire des biens publics ou investir dans la recherche environnementale. On observera toutefois que selon l’élasticité des comportements à une taxe pigouvienne, par exemple, il est préférable d’indemniser les agents taxés fortement affectés du fait d’une forte élasticité à la taxe dont les recettes rapportent pourtant peu à l’Etat. Dans le cas d’une faible élasticité, les comportements ne sont pas affectés, les recettes fiscales sont plus importantes mais la fiscalité devient moins correctrice des externalités au bénéfice du double dividende. Entre réglementation ou fiscalité, recettes fiscales ou efficacité des effets correcteurs des externalités, les marges de manœuvre sont nombreuses.

2 commentaires:

  1. Juste une petite correction dans l'article... Le théorème de Coase -qui n'est pas de coase mais de Stigler- fut énoncé par lui la première fois en 1966!!!En aucun cas en 1997...sachant que tout ce qui est protocole de Kyoto qui s'appuie la dessus est depuis longtemps dans les carton et que des lois américaines sur les rejets de SO² responsable des pluies acides et de la mort des conifères datent des années 1970.

    Concernant les histoires de taxes pigoviennes je me suis toujours demandé plusieurs trucs... premièrement, la taxe c'est bien car ça fait rentrer du pognon ...et la taxe c'est bien car ça diminue les rejets de polluant... Le probleme c'est que le premier objectif ne se concilie pas trop avec le second. Puisque qu'il faut ne pas diminuer les polluants pour continuer à taxer alors que si la taxe est incitative on parvient à réduire les polluant (objectif 2 atteint) mais on ne fait plus rentrer de sous dans les caisses... C'est le fameux problème du double dividende... qui est finalement un nom que l'on a donné à la règle de Tinbergen (1952) pour les problème environnementaux (pour deux objectifs il faut deux politiques)...

    Un second problème et je suis en train d'écrire un article là dessus c'est sur l'efficacité des règles et mesures formelles en matière de politique environnementale. Si l'on regarde les pays en fonction de leur sévérité environnementale, certes on voit une corrélation avec les rejets de polluant (même si la relation n'est pas linéaire) mais une autre question est celle de leur efficacité à réduire les accidents portant atteinte à l'environnement. La dessus on voit clairement que la relation n'est pas établi puisque des pays comme le Danemark ont connu des accidents de niveaux 6 sur l'échelle européenne des accidents comme des pays à moindre sévérité (Russie, Chine...)...
    Finalement, la taxe, la règle et autre outils de contrôle formel semble inefficace à éviter l'accident majeur selon des travaux personnels en cours...

    Une dernière réflexion est la non prise en compte par les économistes de marchés informels ou de systèmes de valeur encastré... Je m'explique, on dit souvent que le pollueur doit être le payeur et qu'une taxe permet au marché d'internaliser une externalité...Mais, quand je vais faire un tour dans les agence immobiliaire je vois clairement que le marché arrive à prendre en compte la probabilité d'externalité (cf les maisons à coté de Tricastin qui ont du bien baisser cet été -à vérifier-) par le système de prix du terrain, mais aussi via un système d'assurance (les propriétaires s'assure à présent des risques de crash d'avion sur leur appartement)...Finalement, il semble que progressivement le marché se crée des institution des agents permettant de prendre en compte les probabilités externalités et donc instaurer une taxe pigovienne dans ce cadre n'est qu'une amorce de solution puisque les assurances commencent à faire payer des risques futures aux entreprises ou des provisions (si les sociétés s'assurent par elle même contre les risques en provisionnant) au lieu de payer des "autres taxes" (à l'Etat) (cf compte de résultat). Des travaux de ce type sont en cours à l'université de montpellier I.

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  2. Concernant l'exemple de Coase que j'ai daté de 1997, je m'en suis remis naïvement à mes sources, je vais corriger l'article.

    Je ne parviens pas à faire le rapprochement entre double dividende et règle de Tinbergen. Dans le billet, j'évoque une partie de ce double dividende à savoir une fiscalité environnementale pour intégrer les effets externes environnementaux. J'ai pu lire que la notion de double dividende pouvait impliquer une croissance des emplois sur le marché du travail. J'ai vaguement évoqué cette situation en parlant d'une "modification des prix relatifs entre les biens". En faite il s'agit plutôt d'un cas que d'une définition puisque la proposition visait à montrer qu'en utilisant les taxes récoltées, on pouvait alléger les cotisations sociales et ainsi le coût du travail. Donc deux remarques. Le principe de Tinbergen s'appliquerait ici dans le cas d'une politique fiscale (taxes environnementales) ex-ante et d'une politique de l'emploi (baisse des cotisations sociales sur le salaire brut d'un salarié) ex-post qui convergerait à augmenter l'emploi. Est-ce juste ou peut-on le voir par d'autres exemples? Seconde remarque, la modification des prix relatifs des biens ne s'appliquerait que si cette taxe environnementale est appliquée au facteur capital ou à la consommation directement. La hausse des coûts de production impliquerait une hausse des prix des biens produits et proposés par l'entreprise. Ainsi, malgré une possible baisse de l'emploi et donc une plausible hausse du pouvoir d'achat global des consommateurs (par une propension marginale à consommer des anciens outsiders devenus insiders consentant un salaire légèrement supérieur au SMIC), la hausse des prix des biens compenserait les gains perçus par les nouvelles embauches. Au final le double-dividende n'aurait plus d'intérêt. Des études de l'OCDE l'ont justifié dans un rapport datant de 1994. Ce rapport va d'ailleurs plus loin en posant de nombreuses conditions à l'efficacité de la taxation ici pigouvienne. L'impact évoluerait différemment si le pays a déjà adopté ou non des réglementations pour protéger l'environnement (Fullerton et Metcalf) . Aussi, des problèmes en compétitivité se poserait selon le degré d'ouverture du pays: une fiscalité sur l'offre induirait des coûts d'ajustements sectoriels notamment dans les plus réactifs à la taxation de l'énergie. Enfin on peut aussi évoquer les modes de coordination internationale qui peuvent faciliter une politique de taxation envers les pays producteurs d'énergie et exportant leur production vers la zone euro par exemple. Ceci peut constituer un nouvel argument pour la mise en place d'une fiscale commune et plus homogénéisée au sein de l'UE.

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